Trump : l’été de (presque) tous les triomphes … avant une rentrée en trompe-l’œil

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  • Romuald Sciora

    Romuald Sciora

    Chercheur associé à l’IRIS, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis

L’été 2025 restera comme celui du quasi grand chelem pour Donald Trump — succès diplomatiques, politiques, judiciaires et symboliques, qui dessinent les contours d’un ordre nouveau où la force prime sur le droit. At home and beyond.

Le « diplomate en chef »

Le 27 juin, à Washington, un accord de paix entre le Rwanda et la République démocratique du Congo a été signé, visant à mettre fin à des décennies de conflit. S’y ajoutent l’apaisement des tensions entre l’Inde et le Pakistan et un rapprochement entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Trump s’en prévaut : selon lui, il aurait « stoppé six guerres » depuis son retour au pouvoir. Ces succès, aussi fragiles soient-ils, mais parfois bien réels, lui confèrent auprès de son électorat et de quelques chefs d’État et de gouvernements une stature de pacificateur qu’il exploite à merveille. Dans un monde où Salman Rushdie n’a jamais reçu le prix Nobel de littérature, le Nobel de la paix pourrait bien ne plus être une utopie pour Donald Trump.

Mais la séquence a basculé lorsque ce dernier a brutalement quitté la voie des négociations avec l’Iran pour revenir à la « méthode forte ». Le 21 juin, trois sites nucléaires iraniens ont été frappés — dont celui de Fordo, visé par un bombardement massif. Présentée comme préventive, cette opération spectaculaire a convaincu une partie des Américains que leur président maîtrisait l’art de la guerre autant que celui de la paix — et surtout qu’il pouvait faire plier un ennemi sans entraîner son pays dans l’un de ces conflits interminables — Irak, Afghanistan — qui avaient plombé ses prédécesseurs.

La Cour suprême aux ordres

Sur le plan intérieur, la stratégie judiciaire de Trump, après la mise au pas du département de la Justice il y a quelques mois, a trouvé son apogée. Depuis juin, la Cour suprême multiplie les arrêts validant ses orientations les plus controversées. Plus radical encore : elle a limité drastiquement la capacité des juges fédéraux à bloquer à l’échelle nationale une décision présidentielle. Un bouleversement institutionnel, qui fragilise un peu plus la séparation des pouvoirs.

Le Congrès, lui, peu rancunier d’avoir vu une partie de ses prérogatives rognées au profit de la Maison-Blanche, a adopté sans peine la One Beautiful Bill. Les démocrates, plus impopulaires qu’ils ne l’ont été depuis trente ans, paraissent avoir perdu toute capacité à s’imposer dans le débat public. Même Barack Obama, qui aurait pu incarner une voix morale de l’opposition, semble trop occupé à promouvoir des livres via le book club d’Oprah Winfrey. Quant aux universités, au sein desquelles plusieurs départements sont désormais mis sous tutelle, elles capitulent une à une. Jusqu’à Harvard qui a fini par « se coucher », pour reprendre l’expression des médias conservateurs.

L’État d’exception normalisé

Le déploiement de la Garde nationale à Los Angeles a été salué bien au-delà de la base trumpiste. Fort de ce précédent, l’administration Trump/Vance a pris le contrôle de Washington D.C., où l’on peut désormais voir des tanks stationnés devant Union Station, la gare centrale de la capitale, et annoncé l’envoi de troupes fédérales à New York et Chicago. Cette militarisation progressive de l’espace public, présentée comme une réponse aux « désordres urbains », installe méthodiquement un régime semi-autoritaire qui cache de moins en moins son nom.

La guerre contre le « wokisme » et les « élites woke » semble, elle aussi, sur le point d’être remportée. Les grandes entreprises, qui hier encore vantaient la diversité sous toutes ses formes, la rejettent désormais sans vergogne. Les communautés LGBTQIA+ sont ostracisées, les médias publics fermés ou muselés, des figures de la culture populaire évincées. Stephen Colbert et The Late Show ont été privés d’antenne après que l’animateur a osé critiquer un accord conclu entre le 47ᵉ président des États-Unis et Paramount, productrice de l’émission. Plus symbolique encore : l’offensive directe contre la Smithsonian Institution et ses musées, accusés, entre autres griefs, de donner l’impression que « tout était horrible dans l’esclavage ». Ce révisionnisme culturel, mené tambour battant à l’orée des célébrations du 250ᵉ anniversaire du pays et sans réelle opposition, illustre l’ampleur du projet de refondation idéologique en cours.

Le nouvel empereur d’Occident

Le 27 juillet, en Écosse, Donald Trump, entre deux parties de golf, a extorqué un accord commercial avec l’Union européenne qui restera comme l’une des plus grandes humiliations diplomatiques de Bruxelles. Ursula Von der Leyen a accepté un texte prévoyant 15 % de droits de douane minimum sur la majorité des produits européens, sans réciprocité sur les importations américaines — une capitulation dénoncée dans plusieurs capitales européennes.

Plus humiliant encore pour les proches alliés du nouveau césar, qui avaient déjà avalé bien des couleuvres lors du dernier sommet de l’OTAN : Emmanuel Macron, Friedrich Merz et Keir Starmer ne furent même pas accueillis sur le perron par Trump lorsqu’ils se rendirent à la Maison-Blanche le 18 août, mais par sa cheffe du protocole. Venus comme des collégiens en groupe pour se sentir plus forts — ou plutôt comme les vassaux qu’ils sont devenus — soutenir Volodymyr Zelensky et plaider pour un rôle européen dans le règlement ukrainien, ils se virent renvoyés à leur statut de quasi-figurants, dont le président américain était prêt, avec mansuétude, à écouter les « suggestions » — pour reprendre ses propres mots. Une déconsidération publique qui confirme, symboliquement, la perte d’influence des « grandes puissances » européennes sur la scène internationale.

Que les dirigeants européens cherchent à s’imposer dans la résolution du conflit entre l’Ukraine et la Russie, cela va de soi. Mais ne devraient-ils pas le faire en essayant de conserver un peu plus de dignité — dignité qui leur conférerait précisément plus d’autorité et donc plus de poids ? Imagine-t-on le général de Gaulle se comporter ainsi, accepter d’être traité de la sorte ?

Et c’est sans parler, ce même jour, d’une séquence que j’ai trouvée — dans un tout autre registre certes — presque aussi mortifiante que leur première rencontre de février : la réunion entre Zelensky et Trump. Celui-ci, évidemment tout-puissant, n’avait cette fois aucune raison d’agresser son homologue ukrainien. Mielleux et affable, il ne l’en a pas moins rabaissé en plaisantant sur son costume et en le traitant comme un petit garçon. Zelensky, qui doit bien sûr tout faire pour ne pas fâcher le chef d’État américain, s’est néanmoins aplati d’une manière sidérante lorsque son hôte a insulté à plusieurs reprises, devant lui, Joe Biden — l’homme qui avait pourtant soutenu à bout de bras l’Ukraine pendant près de trois ans. Pas même un sursaut, pas même une formule polie du genre : « Vous me permettrez, Monsieur le Président, de ne pas critiquer un allié qui nous a apporté tant de soutien. » On se demande alors où était passé le Churchill de BHL.

Le retour de l’ordre bismarckien

Enfin, la rencontre du 15 août en Alaska entre Donald Trump et Vladimir Poutine, organisée en grande pompe et avec tapis rouge, constitue une victoire capitale pour l’ordre international que la Maison-Blanche entend imposer. Certes, aucune avancée vraiment substantielle sur le conflit avec l’Ukraine n’en est sortie — pour l’instant —, mais l’essentiel est ailleurs. L’objectif principal du 47ᵉ président des États-Unis en matière de politique étrangère est limpide : achever ce qui subsiste du système multilatéral né en 1945, déjà moribond.

Cette rencontre marque symboliquement la fin d’une ère de 80 ans — au moment même où l’Organisation des Nations unies célèbre son anniversaire. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, deux empires se sont assis seuls pour discuter du démantèlement d’un pays tiers, sans que ce dernier soit présent, sans que l’ONU ou toute autre organisation internationale — si ce n’est l’OTAN — soit évoquée, et en piétinant ouvertement le droit international. Faut-il rappeler que Vladimir Poutine fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale ? Bien sûr, Washington ne reconnaît pas cette juridiction, mais la mise en scène orchestrée par Trump a offert au maître du Kremlin une réhabilitation spectaculaire. On peut saluer le retour d’un dialogue entre Washington et Moscou. Mais la manière, l’éclat, la théâtralisation ont transformé ce moment en triomphe pour l’autocrate russe.

Bref, ce n’était pas seulement un sommet diplomatique, mais un acte fondateur : la proclamation de la fin officielle de l’ordre multilatéral, et le triomphe de la doctrine Trump — un retour à des rapports de force exclusivement bilatéraux, où la loi du plus fort redevient la seule règle, rappelant désespérément l’Europe du XIXᵉ siècle et des premières décennies du XXᵉ.

Une rentrée Potemkine

À quelques jours du week-end de « Labor Day », qui, aux États-Unis, marque la fin de l’été et donc la rentrée, deux cerises sont venues se poser sur le gâteau estival de Donald Trump. La première : une baisse inédite de la population immigrée, constatée par le Pew Research Center, que l’administration la plus à droite de l’histoire américaine n’a pas manqué de brandir comme la preuve de son efficacité. Après plus d’un demi-siècle de croissance continue, le nombre d’étrangers installés aux États-Unis a reculé d’un million entre janvier et juin, pour s’établir à 15,4 % de la population totale contre 15,8 % six mois plus tôt. La seconde : une victoire judiciaire retentissante, le 21 août, devant une cour d’appel de New York qui a annulé l’amende de 464 millions de dollars infligée pour fraude en 2024 — jugée « disproportionnée » et contraire au huitième amendement. Certes, la cour a confirmé que le milliardaire new-yorkais et deux de ses fils s’étaient bien rendus coupables de fraude, mais le président en sort blanchi aux yeux de ses partisans, assez pour crier à la cabale et au triomphe sur l’establishment libéral.

Mais au-delà des succès ponctuels, les prochains mois s’annoncent autrement plus périlleux. Toute la stratégie de la Maison-Blanche repose sur une façade économique déjà fissurée, malgré une croissance qui se maintient à un rythme modéré. Les chiffres de l’emploi brandis par le gouvernement — en contradiction avec ceux du Bureau of Labor Statistics (BLS), ce qui a valu le renvoi de sa directrice Erika McEntarfer — masquent une réalité sociale faite de précarité massive et de salaires de misère pour le plus grand nombre. Dans le même temps, l’inflation repart à la hausse (2,7 % en juin), les droits de douane imposés tous azimuts pèsent sur les coûts de production et l’ensemble de la chaîne de valeur, le déficit fédéral devrait atteindre des niveaux records (+3,3 trillions sur dix ans), et la dette des ménages frôle les 18 trillions. La Réserve fédérale, de son côté, refuse toujours tout assouplissement monétaire, au grand dam d’un exécutif qui multiplie les pressions. Quant au FMI, il alerte désormais sur une dynamique fragile : l’association d’une inflation persistante, d’un protectionnisme exacerbé et d’un déséquilibre budgétaire croissant pourrait freiner nettement l’activité dès la fin de l’année.

Et la One Big Beautiful Bill mentionnée plus haut ne va pas arranger les choses, notamment au sein des populations paupérisées et des petites classes moyennes, cœur de la nation MAGA. Promulguée en grande pompe le 4 juillet, cette loi budgétaire prévoit, parmi de nombreuses mesures dont même Ronald Reagan n’aurait pas osé rêver, des baisses d’impôt permanentes pour les plus riches, des coupes nettes dans Medicaid (environ 15 millions de personnes risquent de rejoindre les plus de 30 millions d’Américains sans aucune couverture santé), les aides alimentaires (SNAP), l’éducation, etc. L’administration justifie ce virage par la nécessité de « libérer les forces du capital » et de transférer au privé ce qui reste d’un État social jugé inefficace.

L’automne pourrait donc bien révéler au grand jour que les fondations de l’édifice trumpien sont moins solides qu’il n’y paraît. Si l’économie devait flancher, c’est tout le projet politique — intérieur comme international — de Donald Trump et de son dauphin JD Vance qui risquerait de vaciller. Et les électeurs, eux, pardonnent très difficilement un échec économique, surtout à quelques mois des élections de mi-mandat. Voilà l’une des raisons pour lesquelles l’administration s’emploie avec tant d’acharnement à remodeler les règles du jeu électoral, si ce n’est — pour le moment — à verrouiller le jeu lui-même : redécoupage des circonscriptions, restriction du vote par correspondance favorable aux démocrates, complications administratives pour rester inscrit sur les listes, et à tenter, autant qu’elle le peut, de maintenir sa façade Potemkine — quitte à faire tomber les têtes des fonctionnaires récalcitrants.


Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.