Trump, Harvey Milk et Harriet Tubman : la contre-révolution culturelle est en marche

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  • Romuald Sciora

    Romuald Sciora

    Chercheur associé à l’IRIS, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis

C’est un geste hautement symbolique, et profondément révélateur. En plein mois des fiertés LGBTQIA+, l’administration Trump a ordonné que l’un des navires de guerre de la marine américaine cesse de porter le nom de Harvey Milk, figure emblématique du mouvement homosexuel américain, assassiné en 1978. Une décision qui n’a rien d’anecdotique : elle s’inscrit dans une stratégie méthodique de démantèlement des politiques mémorielles et de diversité mises en place ces derniers mois.

À la manœuvre, le secrétaire à la Défense Pete Hegseth, lui-même proche de l’ultra-droite évangélique, justifie cette initiative par la volonté de « rétablir une culture du guerrier » dans les forces armées. Le message est clair : l’armée ne doit plus célébrer des figures civiles ou progressistes, mais retrouver sa « mission première », celle d’un ordre viril, homogène et nationaliste. Exit donc Harvey Milk, dont l’engagement pour l’égalité et la visibilité des minorités est désormais considéré comme incompatible avec la nouvelle « doctrine militaire » de l’administration.

Mais ce n’est pas tout. Dans le même élan, celle-ci envisage de débaptiser un autre bâtiment de la marine, cette fois nommé en l’honneur de Harriet Tubman, ancienne esclave, militante abolitionniste, figure historique du « chemin de fer clandestin » ayant aidé des centaines d’esclaves à fuir le Sud esclavagiste au XIXe siècle. Son crime ? Avoir incarné une mémoire de lutte, d’émancipation et de justice raciale. La liste des autres noms menacés — Ruth Bader Ginsburg, Thurgood Marshall, ou encore Cesar Chavez — confirme l’ampleur du projet : il s’agit de faire table rase d’une mémoire progressiste, inclusive, pour restaurer un panthéon exclusivement masculin, blanc de préférence et guerrier.

Ce que nous voyons à l’œuvre ici, ce n’est pas une série de gestes isolés. C’est une contre-révolution culturelle. Depuis son retour au pouvoir en janvier 2025, Donald Trump a engagé un processus de « reconquête idéologique », en rupture frontale avec l’évolution sociétale des cinquante dernières années. L’effacement des politiques de diversité, la liquidation des programmes fédéraux d’inclusion, les pressions exercées sur les universités, les entreprises, les musées : tout converge vers un même objectif, celui de reconfigurer en profondeur l’identité américaine autour d’un récit univoque, autoritaire et excluant.

Ce récit, c’est celui d’une Amérique « restaurée », débarrassée de ses « faiblesses », purgée du wokisme, recentrée sur ses « vraies valeurs » : la force, l’ordre, la hiérarchie et la nation. Une Amérique où les insurgés du Capitole tiennent lieu de nouveaux héros. Il ne s’agit pas seulement d’une rhétorique de campagne : c’est une ligne politique structurée, pensée, assumée, dont l’un des piliers est la réécriture de l’histoire nationale. Car toute tentative d’émancipation mémorielle — qu’elle concerne les droits civiques, les luttes féministes, ou les combats LGBTQIA+  — est désormais perçue comme une menace existentielle. Et c’est précisément ce que visent Donald Trump et son dauphin J. D. Vance : faire en sorte que ces luttes n’aient plus d’existence officielle, qu’elles disparaissent des institutions, des programmes scolaires, des symboles collectifs.

Il ne faut pas s’y tromper : le changement de nom d’un navire militaire peut sembler anodin. Il ne l’est pas. Dans une démocratie, ce que l’on honore dit tout de ce que l’on veut transmettre. Effacer Harvey Milk ou Harriet Tubman, ce n’est pas seulement une insulte faite à leur mémoire, c’est un avertissement adressé à tous ceux qui, aujourd’hui, se battent pour un idéal de justice et de dignité partagée. C’est un message de fermeture, un retour en arrière assumé, un rejet de la diversité en tant que fondement même du pacte américain.


Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.