Trump 2 et les minorités de genre : quelles ruptures ?

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  • Marie-Cécile Naves

    Marie-Cécile Naves

    Directrice de recherche à l’IRIS, directrice de l’Observatoire Genre et géopolitique

Avec Trump 2, sur ce sujet comme sur d’autres, la rupture est totale avec la présidence Biden, à la fois pour des raisons de principe (défaire l’héritage de son prédécesseur sur les droits des femmes et des LGBT, comme il l’avait fait avec Obama), mais aussi pour des raisons tactiques puisque l’obsession anti-trans et anti-diversité/équité lui permet de détourner l’attention pour pousser un agenda profondément discriminatoire.

La question du genre ne se limite pas, par ailleurs, à un ensemble de mesures ou de contre-mesures. C’est aussi un style de gouvernance et une stratégie de communication : la prédation, la domination, l’intimidation font partie de « la marque Trump » et, en politique étrangère, on assiste à la mise en œuvre d’une véritable « diplomatie du gourdin » (impérialisme, insultes, menaces). La présidence Trump 2 se dit « anti-genre », alors qu’en réalité, à tous les niveaux, c’est une politique profondément genrée !

Une autre différence avec Biden, ainsi, s’incarne dans le choix des membres du gouvernement et des conseillers : il s’agit d’un boys club blanc, qui s’assume comme tel. Biden avait un cabinet et un gouvernement paritaire et multiculturel. Trump veut au contraire donner à voir un pouvoir masculin et même masculiniste, censé renvoyer une image de force, mais aussi de mérite et de compétence. Le désastreux épisode Signal (la fuite des plans militaires américains contre les Houtis dans une boucle de messagerie impliquant un journaliste) laisse cependant planer le doute sur la compétence innée de ce boys club.

Pouvait-on s’attendre à ce que la charge de l’administration Trump sur les questions de genre soit aussi violente dès le début de sa seconde investiture ? S’inscrit-elle dans le prolongement de son premier mandat ?

Oui, il fallait s’attendre à ce que ce soit bien plus violent qu’en 2017. J’ai écrit un livre qui analyse le premier mandat de Trump au prisme du genre, et qui s’intitule Trump, la revanche de l’homme blanc. Les droits des femmes et des minorités sexuelles et de genre étaient une cible privilégiée de Trump 1, et l’on sait notamment que la nomination par Donald Trump de trois juges ultra-conservateurs, pour ne pas dire d’extrême droite, a conduit, en 2022, à la déconstitutionnalisation du droit à l’avortement. Mais aujourd’hui, on va bien au-delà.

La campagne de 2024 a été marquée par un déferlement de messages de haine (insultes, mensonges, et même appels à la violence) contre certaines populations, qui donnait le ton de sa future présidence. Les exemples sont trop nombreux pour qu’on puisse tous les lister, mais on peut en citer quelques-uns emblématiques. Trump a par exemple signé un texte établissant que les États-Unis ne reconnaissent que deux sexes définis à la naissance, et que chaque individu est assigné·e toute sa vie à l’un ou à l’autre. Cela ne correspond à rien dans la réalité, non seulement sociale (i.e. la vraie vie des gens, dont beaucoup vont au-devant de grandes difficultés administratives, pour les papiers d’identité, etc.), mais aussi biologique, puisque cette « décision » présidentielle nie l’intersexuation, l’identité sexuée se définissant de manière complexe par le sexe génétique, le sexe gonadique et le sexe apparent.

Cela se concrétise également dans l’accès à certains métiers (les transgenres se voient interdire de servir dans l’armée et sans doute d’exercer d’autres professions demain) et à certaines ressources (santé, aides sociales, etc.). On interdit aussi les livres qui évoquent le genre dans les bibliothèques scolaires et certaines librairies, on tente de supprimer les travaux sur la transidentité dans l’histoire, la médecine, la sociologie etc. Finalement, c’est une négation de leur existence : on les efface, ils et elles n’existent plus. Au-delà, c’est aussi ouvrir la porte à l’acceptation, voire à l’encouragement, de la violence contre les personnes non binaires et transgenres (réelles ou supposées). Elles sont livrées à la vindicte transphobe.

Or, ce sont non seulement des adultes, mais aussi des enfants qui sont visés. En propageant le mensonge selon lequel des « millions d’enfants et d’adolescents changeraient de sexe à cause du délire transgenre », le trumpisme est en train de priver de soins des enfants sujets à une puberté précoce ou des adolescents cis désireux de se voir pratiquer une gynécomastie (i.e. la très grande majorité des soins de gender-affirming).

Et sous couvert de « protéger » les filles et les femmes, des enfants, des adolescentes et des adultes n’ont déjà plus le droit de pratiquer de sport à l’école, au lycée, à l’université, en compétition. Trump prétend, via la pratique sportive, définir « la bonne féminité » et déterminer l’« éligibilité féminine » à participer à des activités collectives de loisirs. En fait, la question trans a permis au parti MAGA (Make America Great Again) de remobiliser un écosystème ultra-conservateur sur le terrain, qui avait perdu la bataille juridique du mariage entre personnes de même sexe (lequel pourrait bien être lui aussi menacé à l’avenir).

Quel projet politique ces détestations antiféministes, homophobes, mais aussi xénophobes, doublée par une approche viriliste du pouvoir, poursuivent-elles ? Est-ce inédit dans l’histoire ?

Les attaques contre la recherche, la pensée critique et même l’éducation (sans parler des livres) s’inscrivent dans cette même logique. Et ce ne sont pas que les sciences sociales qui sont attaquées : les études de genre sont un outil d’analyse et un corpus utilisé dans de nombreuses disciplines comme la médecine ou encore la biologie. L’obscurantisme est un allié majeur de la présidence Trump 2 : maintenir la population dans l’ignorance permet de la rendre plus docile (du moins, c’est le fantasme). L’interdiction de concepts dans les textes et sur les sites web des administrations fédérales (« genre », et même « femme »), la destruction de données scientifiques, tout ceci est finalement très cohérent : ce qui n’est pas dit, pas écrit, n’existe pas. Les victimes de la misogynie, de l’homophobie et de la transphobie n’existent pas. Seul compte ce que décrète le pouvoir fédéral, un peu comme le « ministère de la Vérité » dans le roman 1984.

En outre, Trump 2 démontre par A + B que l’« anti-wokisme » nourrit en réalité un programme qui sape l’État de droit. Sous couvert de combattre les « excès » des politiques de promotion de la diversité et de lutte contre les discriminations de genre ou de race, la Maison-Blanche, mais aussi de nombreux États fédérés aux mains des républicains, entraînés par cet élan, réinstaurent des discriminations supprimées depuis les années 1960, confortent des privilèges, réhabilitent la suprématie blanche et le patriarcat. C’est la première étape de la destruction démocratique : aujourd’hui, les transgenres, demain qui ?

C’est totalement assumé et même théâtralisé. Je ne saurai dire si c’est inédit dans l’histoire, mais ce qui est limpide, c’est que les mouvements féministes et anti-racistes (Womens’ Marches, #MeToo, #BlackLivesMatter, etc.) ont terrifié l’Amérique d’extrême droite qui ne minimise pas du tout leur force et leur popularité. Pour eux, c’est une guerre qu’il faut mener aux femmes et aux minorités et cette guerre ne peut avoir lieu, en actes, qu’en dehors du cadre démocratique : en contournant la loi et la Constitution.

Un certain nombre de décisions, prises par décret par le président Donald Trump, en effet, ont été bloquées par la justice, après des plaintes d’associations de défense des droits humains. C’est le cas par exemple de l’interdiction pour les transgenres d’intégrer l’armée. Mais le pouvoir exécutif, pour l’heure, ne tient pas compte des procédures judiciaires. Que la justice in fine soit respectée sera un test majeur de la présidence Trump 2 : si la séparation des pouvoirs n’existe plus, les États-Unis auront véritablement basculé dans l’autoritarisme.