Traité sur la biodiversité en haute mer : une nouvelle ère pour la protection de la biodiversité marine en haute mer ?

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  • Romane Lucq

    Romane Lucq

    Analyste en stratégie internationale spécialisée sur les enjeux maritimes

Qu’est-ce que le traité sur la biodiversité en haute mer (BBNJ) et pourquoi a-t-il fallu autant d’années
pour aboutir à son adoption ?

Le traité sur la biodiversité en haute mer est un instrument juridique international adopté en 2023 sous l’égide de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM). Jusqu’alors, les eaux internationales – soit 64 % de l’océan et près de la moitié de la surface du globe – échappaient à tout cadre juridiquement contraignant en matière de protection de la biodiversité. Contrairement aux eaux sous juridiction nationale, qui s’étendent jusqu’à 200 milles nautiques des côtes (environ 370 kilomètres) et où les États côtiers régulent les activités maritimes, la haute mer demeurait un espace de liberté, largement exploité mais peu protégé. C’est pour combler ce vide juridique que le traité Biodiversity Beyond National Jurisdiction (BBNJ) a vu le jour en mars 2023.

Il a été qualifié d’historique lors de son adoption pour plusieurs raisons. Premièrement, il s’agit du premier cadre légal établissant des règles contraignantes dans un domaine où la liberté des États primait jusqu’alors. En comblant les lacunes juridiques de la CNUDM sur la gestion d’une partie des ressources de la haute mer, il marque une étape inédite vers une gestion globale de l’océan. Ensuite, il introduit des mécanismes novateurs comme la possibilité de créer des aires marines protégées en haute mer. Il offre donc des outils concrets pour protéger des écosystèmes vulnérables face à des pressions croissantes. Il a également été considéré comme une victoire majeure du multilatéralisme : son adoption après près de vingt ans de discussions et négociations reflète un rare consensus mondial dans un contexte géopolitique tendu, et illustre une reconnaissance collective de l’urgence écologique et du rôle vital de l’océan.

Si le traité a mis aussi longtemps à voir le jour, c’est notamment parce que les négociations ont été marquées par de profondes divisions entre pays développés et pays en développement. Un des points de blocage majeurs concernait par exemple l’exploitation des ressources génétiques marines, qui représentent un enjeu économique stratégique en raison de leur potentiel dans des secteurs comme la pharmacie ou la cosmétique. Certains pays, dotés des moyens et industries nécessaires à leur exploitation, ont effectivement défendu une approche favorisant un accès sans entrave à ces ressources. À l’inverse, de nombreux pays en développement ont insisté sur un mécanisme de partage équitable des avantages (monétaires et non monétaires), arguant que l’absence de régulation profitait de manière disproportionnée aux nations technologiquement équipées.

Comment ce traité pourrait-il transformer concrètement la gestion et l’exploitation de la haute mer ?

En établissant un cadre juridique global contraignant, le traité BBNJ comble le manque de coordination et de cohérence dans la gouvernance de la haute mer à travers quatre piliers fondamentaux. Premièrement, la création d’aires marines protégées dans les eaux internationales, qui était jusqu’ici quasiment impossible hors du cadre d’accords régionaux entre États volontaires. Cela devrait permettre d’atteindre l’objectif 30×30 qui vise à protéger 30 % de l’océan d’ici 2030. En outre, afin de prévenir les risques écologiques, les projets d’exploitation devront être soumis à des études permettant d’évaluer l’impact des activités sur les écosystèmes. Ensuite, le traité met en place un mécanisme de partage des bénéfices liés à l’exploitation des ressources génétiques marines permettant aux pays en développement d’accéder aux bénéfices scientifiques, technologiques et économiques qui en sont issus. Enfin, il met l’accent sur le renforcement des capacités des pays en développement pour leur permettre de participer à la recherche et à la gestion des ressources marines.

Pour assurer le respect des engagements, le traité prévoit plusieurs mécanismes de gouvernance destinés à garantir son application effective. Une Conférence des Parties (COP) sera chargée de superviser la mise en œuvre du traité, d’évaluer les avancées réalisées et d’adopter d’éventuelles recommandations ou ajustements nécessaires pour améliorer son efficacité. Elle constituera le principal organe de suivi et jouera un rôle clé dans la coordination entre les États signataires. Un comité scientifique sera également mis en place afin d’évaluer les données relatives à l’état de la biodiversité en haute mer et aux impacts des activités humaines, qui serviront ensuite de base aux décisions prises par la COP, notamment en ce qui concerne la désignation d’aires marines protégées. Des mécanismes de règlement des différends, inspirés de ceux prévus par la CNUDM permettront de résoudre les éventuels conflits entre États concernant l’interprétation ou l’application du traité.

Si le traité transforme la gouvernance de la haute mer en permettant une approche plus coordonnée et une régulation plus efficace de certaines activités humaines, son application dépendra fortement de la volonté des États à respecter leurs engagements et à les traduire dans leurs législations nationales

Quels sont les principaux défis à relever pour assurer l’entrée en vigueur puis la mise en œuvre effective du traité BBNJ ? Où en est la ratification ?

L’accord a été trouvé le 4 mars 2023 et adopté formellement le 20 juin de la même année aux Nations unies, mais pour que le texte devienne juridiquement contraignant et entre en vigueur, il doit être ratifié par au moins 60 États. C’est un processus qui avance lentement, et plusieurs États hésitent encore à s’engager pleinement. Derrière ces réticences se cachent des enjeux économiques, politiques et stratégiques qui freinent leur adhésion. S’il a été signé par 110 États – qui indiquent ainsi leur volonté de le ratifier –, le traité n’a pour l’heure été ratifié que par 18 pays, dont la France, qui a déposé son instrument de ratification auprès des Nations unies le 5 février dernier. Au-delà de la ratification, la mise en œuvre concrète du traité pose des défis logistiques et techniques. Par exemple, le texte prévoit la création d’aires marines protégées en haute mer, mais encore faut-il pouvoir les surveiller et garantir le respect des régulations qui y seront liées. La haute mer couvre près de la moitié de la planète : assurer un contrôle efficace dans ces vastes espaces nécessitera des moyens de surveillance renforcés, mobilisant à la fois technologie et coopération entre États. La question de la mise en œuvre du traité renvoie également à un enjeu plus large de responsabilité partagée. Sans un engagement fort de l’ensemble des parties prenantes, ce cadre ambitieux pourrait rester largement théorique, faute de moyens et de volonté politique pour l’appliquer à grande échelle.

La troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC3), qui se tiendra à Nice du 9 au 13 juin prochains, pourrait jouer un rôle important dans l’accélération de la ratification. Cette conférence, qui réunira États, organisations internationales, ONG et acteurs économiques, vise à mettre en œuvre l’objectif de développement durable 14 (ODD 14) qui porte sur l’environnement marin. Elle pourrait permettre de renforcer la pression diplomatique sur les États hésitants, de mobiliser des financements destinés à soutenir la conservation de l’océan, de renforcer le partage et la diffusion des connaissances scientifiques afin d’améliorer la prise de décision politique sur les enjeux océaniques, et de consolider les bases d’une gouvernance internationale efficace de la haute mer.