Analyses / Asie-Pacifique
6 novembre 2025
Sommet de l’APEC, la Corée du Sud dans la cour des « Grands »
La Corée du Sud a accueilli le Forum de coopération économique Asie-Pacifique, APEC, dans la ville de Gyeongju, du 29 octobre au 1er novembre 2025. Test diplomatique majeur pour le président sud-coréen Lee Jae -myung, qui a pris ses fonctions en juin dernier, le sommet et son organisation ont été marqués par d’importantes rencontres bilatérales avec ses homologues américains et chinois, la rencontre entre les présidents Donald Trump et Xi Jinping mais aussi par la présence de la nouvelle Première ministre japonaise Sanae Takaichi.
Confrontée à des partenaires et proches voisins, américains, chinois et japonais, avec lesquels les relations demeurent délicates, la Corée du Sud s’est efforcée de conduire l’évènement en ménageant intérêts globaux et agenda plus national. Ces ambitions ont été contrariées par l’attention suscitée par la longue tournée asiatique entreprise en parallèle par le président Trump (du 26 au 30 octobre 2025). C’était en effet le premier déplacement dans la région de ce dernier avec le Sommet de l’ASEAN en Malaisie, des visites officielles au Japon et en Corée du Sud et une participation minime au sommet de l’APEC, largement éclipsée par la rencontre avec le président chinois le 30 octobre à l’issue de laquelle Donald Trump est retourné à Washington. Le sommet de l’APEC a donc fourni au président sud-coréen l’occasion de mettre en œuvre la difficile politique d’équilibre vis-à-vis de la Chine et des États-Unis qui est au cœur de la politique étrangère de Séoul.
En effet, depuis la fin de la guerre de Corée en 1953, la diplomatie sud-coréenne se caractérise par la recherche d’un moyen terme entre désir d’autonomie et besoin de maintenir l’alliance de sécurité avec les États-Unis et de bonnes relations commerciales avec la Chine, pour assurer sa défense et sa prospérité. C’est ainsi que les choix stratégiques de Séoul restent contraints par la faiblesse relative d’un pays entouré de puissants voisins, Chine, États-Unis, Japon et Russie. Une situation largement illustrée par les discussions du président Lee avec ses homologues américains et chinois à l’occasion de l’APEC.
L’épilogue relatif des tensions tarifaires avec les États-Unis
La partie sud-coréenne n’a pas échappé à la poursuite de dures négociations tarifaires avec les États-Unis afin de réduire les droits de douane américains et apaiser l’incertitude qui pèse sur l’économie de Séoul, très dépendante du commerce international. On se souvient que le président Lee s’était rendu à Washington en juillet 2025 et qu’un accord avait été annoncé selon lequel Washington réduirait ses droits de douane de 25 % à 15 % en échange d’un investissement de 350 milliards de dollars de Séoul aux États-Unis. Mais cette annonce n’avait pas été formalisée et avait de surcroit donné lieu à des déclarations divergentes entre les deux protagonistes sur la question, Lee Jae-myung affirmant que des points de désaccord importants subsistaient tandis que Donald Trump décrivait l’accord comme quasiment finalisé. Les constructeurs automobiles sud-coréens, l’automobile constituant un produit d’exportation clé vers les États-Unis, sont actuellement soumis à des droits de douane de 25 %, ce qui incite Lee à conclure l’accord. Cependant, il souhaitait également éviter de s’engager précipitamment avant d’essayer de réduire l’investissement attendu par les États-Unis. À première vue, il semblerait que les discussions américano-sud-coréennes se soient déroulées dans un climat moins bénéfique que celles intervenues entre le président Trump et la Première ministre japonaise . De grandes entreprises nippones devraient ainsi investir dans 21 grands projets avec les Américains dans le nucléaire, la logistique, l’intelligence artificielle ou encore les minéraux critiques, un engagement pris dans le cadre d’un accord commercial bilatéral de 550 milliards de dollars. Toutefois, l’autorisation de construire des sous-marins à propulsion nucléaire, donnée par Donald Trump à la Corée du Sud, intervenue après la clôture de l’APEC, indique que les négociations se passaient davantage sur le terrain stratégique plutôt que commercial.
La question nord-coréenne a partiellement émergé durant le bref séjour de Donald Trump à Séoul, ce dernier ayant exprimé à plusieurs reprises son souhait de renouer avec Kim Jong-un. Toutefois l’environnement géopolitique de la péninsule coréenne est très différent de celui qu’avait connu Donald Trump durant son premier mandat lorsqu’il avait pu rencontrer le dirigeant nord-coréen à deux reprises. Depuis, la Corée du Nord a largement renforcé ses liens avec la Chine et la Russie et peut à ce titre n’avoir aucun intérêt direct pour un engagement avec les États-Unis. L’ouverture exprimée par Donald Trump n’a guère de chance de trouver d’écho du côté de Pyongyang à court ou moyen terme. Si des avancées ont semblé possibles en 2018 et 2019, Kim Jong-un, qui espérait une levée partielle des sanctions américaines, a été déçu par ses premières rencontres avec Trump et estime désormais qu’il ne peut pas faire confiance aux États-Unis.
La relance des relations avec la Chine
La rencontre entre le président Lee et son homologue chinois était également importante si l’on réalise qu’il s’agissait de la première visite de Xi Jinping dans le pays depuis 2014. Les deux voisins entretiennent des relations commerciales fructueuses, mais leurs liens politiques sont mis à mal par la rivalité stratégique croissante entre la Chine et les États-Unis. Rappelant les liens historiques et culturels anciens entre les deux pays, Xi Jinping a pu les décrire comme « des partenaires qui ne peuvent pas être séparés » mais la réalité est que Séoul se retrouve pris entre deux feux dans la guerre commerciale et technologique qui oppose les superpuissances. La Chine a récemment imposé des sanctions à cinq filiales américaines du constructeur naval sud-coréen Hanwha Ocean, qu’elle accuse d’aider les États-Unis. Par ailleurs, de nombreux acteurs des industries clés de la Corée du Sud, telles que les semi-conducteurs, l’électronique et l’acier, s’inquiètent de l’avancée de leurs rivaux chinois.
Les difficultés économiques auxquelles se trouve confrontée la population sud-coréenne, notamment la jeunesse, fait que le sentiment antichinois se renforce dans le pays sous l’influence de mouvements populistes et complotistes de type MAGA. Les sondages montrant une détérioration de l’opinion publique à l’égard de son grand voisin et les médias locaux font état de violentes manifestations visant les quartiers à forte population chinoise. L’introduction récente de l’exemption de visa pour les touristes chinois, destiné à stimuler l’économie – comme l’a d’ailleurs fait le Japon – a renforcé les protestations. Les investissements immobiliers chinois sont particulièrement visés.
Dans ce contexte, l’objectif du président Lee, qui est de chercher à apaiser ses relations commerciales avec Washington, tout en évitant de s’aliéner Pékin, n’a été que partiellement atteint. De fait, Séoul comme Pékin se sont davantage concentrés sur leurs discussions plus urgentes avec les États-Unis.
La poursuite du rapprochement entre la Corée du Sud et le Japon
Une embellie s’est toutefois manifestée dans l’amélioration continue des relations entre la Corée du Sud et le Japon, largement orchestrée durant la présidence de Joe Biden. La nouvelle Première ministre japonaise, Sanae Takaichi, a visiblement cherché à tirer parti de cette dynamique positive lors de ses discussions avec Lee Jae-myung. Leur rencontre s’est clairement inscrite dans le cadre des efforts déployés en parallèle par Tokyo pour faire face à une Chine plus agressive en renforçant ses partenariats avec certains pays partageant la même vision de l’ordre international dans l’Indo-Pacifique.
Malgré ses propos virulents à l’égard du Japon par le passé, le président sud-coréen s’est montré ouvert à un rapprochement comme il avait été amorcé avec Shigeru Ishiba, le prédécesseur de Sanae Takaichi. De son côté, la nouvelle Première ministre japonaise, connue pour sa vision conservatrice du monde, a jusqu’à présent pris soin d’éviter tout propos ou geste susceptibles de rappeler les épisodes le plus sombres de l’histoire des deux pays pendant la colonisation japonaise de 1910 à 1945. Dans son discours de politique générale prononcé devant le Parlement japonais le 25 octobre dernier, elle avait clairement indiqué son intention d’engager un dialogue au plus haut niveau avec Séoul afin de renforcer les relations bilatérales. Elle avait également déclaré qu’elle développerait des partenariats de sécurité minilatéraux centrés sur la Corée du Sud, les Philippines et l’Australie.
Dans le même discours, Sanae Takaichi n’avait pas hésité à qualifier les activités militaires de la Chine, de la Corée du Nord et de la Russie de « préoccupation grave », suscitant une protestation de Pékin. Si par ailleurs, elle a appelé à un dialogue franc avec les dirigeants chinois, elle n’a pas hésité à braver une nouvelle fois la colère de Pékin en rencontrant les représentants de Taiwan invités au Sommet de l’APEC.
Conclusion
Le communiqué final adopté au terme du Sommet de l’APEC n’a pas permis de masquer la dégradation des règles du commerce international, victimes de la politique mercantiliste de Donald Trump. Pris, une nouvelle fois, entre les divergences opposant la Chine et les États-Unis, le président Lee Jae-myung a renoncé à mentionner le rôle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour un texte plus pragmatique évoquant les problèmes concrets qui se posent aux grandes économies asiatiques, entre avancées de l’intelligence artificielle (IA) et déclin démographique.