Le président élu des États-Unis, Donald Trump, a déclaré qu’il a l’intention de discuter avec le président russe Vladimir Poutine des efforts pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Se dirige-t-on vers un cessez-le-feu, après le 20 janvier date de l’investiture de Donald Trump ?
Ce que veut la Russie, ce n’est pas d’un simple cessez-le-feu mais d’un accord politique d’ensemble. Cela a été rappelé par plusieurs officiels russes ces dernières semaines – notamment par Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères.
Les Russes entendent régler le problème ukrainien et les causes qui, de leur point de vue, ont conduit à la guerre. Cela passe selon eux par un accord sur la sécurité européenne prévoyant un statut de neutralité pour l’Ukraine. C’était le sens des accords d’Istanbul, (l’accord de paix négocié par Kiev et Moscou en Turquie, au début de la guerre, ndlr*) et des propositions qu’ils avaient formulées en novembre 2021, qui avaient été rejetées par les Américains.
On a donc deux visions en miroir des pourparlers, celle des Ukrainiens qui veulent un cessez-le-feu et surtout des garanties de sécurité, en attendant la paix qui leur permettraient ultérieurement de récupérer leurs territoires, et de l’autre, celle des Russes qui veulent la paix selon leurs conditions ?
Absolument. Les Ukrainiens voulaient, jusqu’à récemment, continuer la guerre jusqu’à la victoire. Mais l’horizon de la victoire s’éloigne et plus personne n’y croit vraiment, pas même à Kiev. On se contenterait désormais d’un cessez-le-feu, voire d’une négociation qui impliquerait une cession de territoire tacite contre une entrée dans l’Otan et l’Union européenne.
Le problème, c’est qu’à l’évidence, Donald Trump ne veut pas l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan. Il ne veut pas en entendre parler. Certes, on ne sait pas encore très bien quelles seront les positions de la nouvelle administration américaine. On a vu que la visite de l’envoyé de Donald Trump, le général Kellogg, était repoussée à l’après 20 janvier. Mais la tonalité des récentes déclarations du président élu n’est pas très encourageante pour Kiev.
Donald Trump parle désormais d’une échéance à 6 mois et plus de 24 heures, comme il l’avait annoncé pendant sa campagne présidentielle, pour mettre un terme à la guerre en Ukraine…
Oui, absolument. Et il semble sorti d’une logique de cessez-le-feu pour venir vers une logique de règlement politique, ce qui bien sûr prendra plus de temps. Et là, tout le monde est d’accord. Y compris Emmanuel Macron, qui évoque un horizon de plusieurs mois.
L’horizon réaliste pour la fin de la guerre, c’est l’été ou l’automne 2025 – peut-être l’hiver prochain, mais pas ce printemps.
Et il n’y aura pas – en tout cas, c’est mon avis – de suspension des opérations militaires de la part de la Russie dans l’intervalle. La négociation se fera sous pression militaire. D’autant plus que l’armée russe est en retard par rapport aux objectifs politiques de Vladimir Poutine.
Quels sont les objectifs de Vladimir Poutine ?
L’une des craintes de la Russie, me semble-t-il, c’est qu’il y ait un gel du conflit sur la ligne de front actuelle. Or, en l’état, ce ne serait certainement pas une victoire stratégique pour la Russie, ni même d’ailleurs une victoire. Je pense que la direction russe considère qu’elle a encore besoin de quelques mois, peut-être d’un an, pour créer un rapport de forces favorable.
Le Kremlin voit par ailleurs, comme tout le monde, que la société ukrainienne « travaille », que l’opinion évolue… sur le front, il n’y a pas d’effondrement, mais des fissures qui s’élargissent. Mettons-nous à la place de Poutine : il n’a certainement pas pris autant de risques, lancé une guerre aussi coûteuse pour s’arrêter maintenant, alors que peut-être, il peut atteindre des résultats militaires et politiques plus favorables à ses intérêts dans quelques mois.
Quel est alors le plan de paix de Vladimir Poutine ?
L’objectif pour la Russie, c’est de contrôler totalement les 5 oblasts : Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia, en comptant la Crimée ?
L’objectif minimal pour le Kremlin est de contrôler 100% du Donbass ; c’est moins clair pour Zaporijjia et Kherson, car cela impliquerait – pour cette dernière région – de refranchir le Dniepr. En revanche, la question de la Crimée, annexée en 2014 par la Russie après Maïdan (sans aucune effusion de sang), ne se pose plus.
Il me semble cependant que les territoires, pour le Kremlin, ne sont pas une fin en soi. Personne à Moscou n’envisage de rétrocession, mais l’essentiel est plutôt la non-inclusion de l’Ukraine dans la sphère de sécurité occidentale.
Avant une négociation, il est normal de demander beaucoup. Pour l’instant, les performances de l’armée russe sur le terrain ne permettent pas au Kremlin de prétendre à la satisfaction de toutes ses revendications. Mais les choses peuvent évoluer dans les mois qui viennent. Et ce qui compte, c’est la dernière ligne droite. Rappelez-vous que jusqu’à la mi-juillet 1918, c’est l’armée allemande qui était à l’offensive.
L’objectif pour la Russie, c’est de contrôler totalement les 5 oblasts : Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia, en comptant la Crimée ?
L’objectif minimal pour le Kremlin est de contrôler 100% du Donbass ; c’est moins clair pour Zaporijjia et Kherson, car cela impliquerait – pour cette dernière région – de refranchir le Dniepr. En revanche, la question de la Crimée, annexée en 2014 par la Russie après Maïdan (sans aucune effusion de sang), ne se pose plus.
Il me semble cependant que les territoires, pour le Kremlin, ne sont pas une fin en soi. Personne à Moscou n’envisage de rétrocession, mais l’essentiel est plutôt la non-inclusion de l’Ukraine dans la sphère de sécurité occidentale.
Avant une négociation, il est normal de demander beaucoup. Pour l’instant, les performances de l’armée russe sur le terrain ne permettent pas au Kremlin de prétendre à la satisfaction de toutes ses revendications. Mais les choses peuvent évoluer dans les mois qui viennent. Et ce qui compte, c’est la dernière ligne droite. Rappelez-vous que jusqu’à la mi-juillet 1918, c’est l’armée allemande qui était à l’offensive.
Ce qui motive la Russie à poursuite la guerre, c’est l’Ukraine qui s’oriente vers l’occident ? Ou la nostalgie d’un empire soviétique ?
Peut-être les deux. En tout cas, ce qui motive très clairement l’intervention militaire russe, c’est l’hypothèse (que certains jugeaient lointaine et virtuelle) d’un basculement stratégique de l’Ukraine dans le camp occidental.
Les problèmes ont commencé en 2013-2014, lorsque l’Ukraine est sortie de ce statut « d’entre deux » stratégique. On peut naturellement considérer que la Russie n’a aucun droit de regard sur l’Ukraine. Mais on ne fait pas de la géopolitique en éprouvette. Vous avez une puissance nucléaire voisine qui juge, à tort ou à raison, que ce scénario la menace dans ses intérêts vitaux. Que l’élargissement de l’Otan la menace dans ses intérêts vitaux.
On peut essayer de convaincre Poutine qu’il a tort, mais – à mon avis – c’est perdre son temps. D’autant plus que Poutine en parle depuis des années, depuis 2007 et le discours de Munich. On peut estimer qu’il est de mauvaise foi, que les Russes sont paranoïaques, qu’ils sont nostalgiques de la grandeur etc. Mais une constante dans les perceptions de politique étrangère russe : l’élargissement de l’Otan, surtout à l’Ukraine, est perçu comme une menace existentielle. Il n’y a aucune raison que ça change, y compris après le départ de Poutine.
Dans sa conception de la paix, Moscou ne veut pas entendre parler de soldats de pays membres de l’Otan, sur une zone tampon pour observer le cessez-le-feu et le cas échéant, s’interposer…
Il est clair que Poutine n’a pas lancé la guerre contre l’Ukraine pour avoir à la sortie des soldats de pays membres de l’OTAN sur le sol ukrainien.
Mais ce qui me frappe beaucoup, c’est qu’en réalité, pas grand monde se bouscule au portillon pour y aller. Même les Polonais ont fait savoir qu’ils n’étaient pas intéressés, y compris après la fin des hostilités. Les Allemands – y compris le probable futur chancelier Merz, pourtant réputé plus sensible aux intérêts ukrainiens – ont fait savoir qu’ils iront seulement si ça convient à la Russie. Laquelle a déjà répondu par un non catégorique. La France, le Royaume-Uni et l’Europe baltique risquent donc d’être assez seuls le cas échéant.
Propos recueillis par Ghizlane Kounda pour RTBF.