La reconnaissance de la Palestine par la France, annoncée par Emmanuel Macron à l’ONU, marque-t-elle un retour de Paris sur le devant de la scène diplomatique mondiale ?
Ce geste fort tente effectivement de replacer la France sur l’échiquier international. Mais il faut garder à l’esprit que son influence a chuté vertigineusement ces vingt dernières années. Jadis incontournable au Proche-Orient, la France a perdu en crédibilité, notamment à cause d’une politique étrangère marquée par des hésitations et des revirements. Elle a été quasiment chassée d’Afrique, marginalisée au Moyen-Orient, et n’existe plus vraiment que par son siège au Conseil de sécurité et sa puissance nucléaire. Emmanuel Macron essaie aujourd’hui de reprendre la main avec cet acte symbolique.
Cette décision française a-t-elle eu un effet d’entraînement ?
Oui, et c’est là qu’elle prend tout son poids. D’autres pays majeurs comme le Royaume-Uni, le Canada ou encore l’Australie ont suivi. Cela permet à Emmanuel Macron de marquer un point diplomatique : quatre des cinq membres permanents du Conseil de sécurité reconnaissent désormais la Palestine. Le Royaume-Uni, surtout, est une « prise de guerre » majeure, tant son alignement historique avec les États-Unis était fort. Mais attention, ce geste reste symbolique : sur le terrain, pour les Palestiniens – et encore plus les Gazaouis – rien ne change à court terme.
Pourquoi un tel scepticisme, alors que la reconnaissance est actée ?
Parce qu’une fois encore, Emmanuel Macron donne l’impression d’avancer sans aller jusqu’au bout. Il avait conditionné cette reconnaissance à la libération des otages. Puis cette condition a disparu… pour revenir via la promesse d’une ambassade, mais seulement « si » les otages sont libérés. On ne peut pas avancer comme ça. Soit on reconnaît la Palestine sans conditions, ce qui est légitime puisqu’on traite avec l’Autorité palestinienne – pas le Hamas –, soit on impose des critères clairs et on s’y tient. Ce flou nuit à sa crédibilité, notamment aux yeux des alliés comme les États-Unis.
Ce positionnement français risque-t-il de tendre les relations franco-américaines ?
Oui, Donald Trump va très probablement le vivre comme un coup de poignard de la part d’Emmanuel Macron. Il pourrait le faire savoir à la tribune de l’ONU ou par communiqué. À moyen terme, cela pourrait avoir des conséquences diplomatiques. D’autant qu’Emmanuel Macron, qui se veut le chantre du multilatéralisme, ne s’est jamais réellement impliqué dans la relance de l’ONU, contrairement aux Chinois qui, eux, investissent le système multilatéral. L’ONU politique est aujourd’hui quasiment absente des grands dossiers internationaux, et cela n’aide pas Paris à y reprendre un rôle central.
Dans ce contexte, la France est-elle vue comme un leader dans cette nouvelle vague de reconnaissances ?
Elle suit une dynamique enclenchée par des pays comme l’Espagne et l’Irlande, mais elle joue tout de même un rôle moteur parmi les grandes puissances. Le fait que Londres, Ottawa et Canberra aient emboîté le pas donne du poids à sa démarche. Et cela isole un peu plus Israël sur la scène mondiale, en dehors des soutiens traditionnels comme les États-Unis. Mais à Washington, l’annonce française n’a eu qu’un écho très limité, tout comme son interview diffusée sur CBS. Personne ne s’y est vraiment intéressé. Ce qui montre bien que, malgré ses efforts, la France peine encore à peser dans les grands équilibres diplomatiques.
Entretien réalisé par Lucas Serdic pour La Dépêche