Atlantico : La Chine a nommé l’un de ses ambassadeurs les plus controversés, Lu Shaye, présenté comme un « loup guerrier », pour gérer ses relations diplomatiques avec l’Europe. Qui est vraiment Lu Shaye, politiquement ou idéologiquement ?
Emmanuel Lincot : Né en 1964, c’est un francophone qui a commencé sa carrière de diplomate en Afrique puis au Canada avant d’être nommé en France à la veille de la pandémie, en 2019. Il sera resté dans notre pays jusqu’en 2024. C’est un « dur », un « loup guerrier » qui s’est illustré pour sa pugnacité dans la défense de sa compatriote Meng Wanzhou, directrice financière et fille du fondateur de Huawai, accusée de fraudes en collaborant avec la Syrie et l’Iran et soumise à un mandat d’arrêt alors qu’elle se trouvait au Canada. En 2023, Lu Shaye défraie la chronique en déclarant sur le plateau de LCI que les anciennes Républiques soviétiques, comprenons l’Ukraine mais aussi les Etats Baltes, ne peuvent prétendre à un statut souveraineté réelle. Ceci n’est en rien un « dérapage ». Lu Shaye est la voix de son maître, Xi Jinping. Au reste, sa nomination comme représentant pour les affaires européennes doit être comprise comme une promotion et le signe que les relations entre Bruxelles et Pékin vont être l’une des priorités de la diplomatie chinoise.
Comment expliquer que Pékin le nomme à ce moment précis ? Y a-t-il un but sous-jacent ?
Le moment est crucial car les Chinois sentent bien que les relations entre Européens et Américains vont se tendre. Ils pourront y voir une opportunité bien sûr et n’hésiteront à jouer la carte de la division entre les membres de l’Union. Lu Shaye est nommé pour cela mais aussi pour veiller à ce que les restrictions quant à l’accès du marché européen soient moins lourdes que celles imposées pour le marché américain par Donald Trump.
Qu’est-ce que cette nomination présage des relations futures entre l’Union Européenne et la Chine ? À quoi faut-il s’attendre ?
Au mois de mai dernier lors de sa tournée en Europe, Xi Jinping a clairement fait savoir que sa priorité n’était plus la France, en dépit du soixantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques célébré avec notre pays mais bien que sa priorité désormais était l’Est, c’est-à-dire la Hongrie et la Serbie. Lu Shaye s’emploiera à faire le jeu des Hongrois dans la promotion des moteurs électriques des voitures chinoises, pour ne citer qu’un exemple. Au vu de son parcours africain, il veillera sans doute à attiser l’acrimonie qui oppose le Sud Global et plus particulièrement les pays francophones contre la France. Depuis Bruxelles, il se positionnera comme un relais de leurs remontrances voire comme un porte-voix tiers-mondiste.
Quelle devrait être la réaction de l’UE vis-à-vis de Pékin dans le cadre de cette nomination ? Faut-il “montrer les muscles” face à la Chine ?
Plusieurs dizaines de parlementaires européens avaient signé une pétition pour le décréter « persona non grata » sur le territoire de l’Union à la suite de ses déclarations sur l’absence de souveraineté réelle de pays nés de la dislocation de l’URSS. Il y a fort à parier que cela n’ait aucune suite alors que légalement Bruxelles a le pouvoir de refuser les lettres d’accréditation d’un diplomate étranger. Il y aura des protestations comme il y en eut après que Lu Shaye ait traité un Chercheur français, Antoine Bondaz, de « petite frappe ». Mais rien de plus.
Propos recueillis par Atlantico.