Comment expliquez-vous ce revirement de Donald Trump ?

Il ne faut jamais analyser la politique de Donald Trump(nouvelle fenêtre) sans prendre en compte deux moteurs essentiels : l’égo et l’argent. Je pense qu’il a été humilié par Vladimir Poutine. Il l’a d’ailleurs raconté lui-même dans les médias : il expliquait à sa femme avoir eu le sentiment d’avoir progressé dans les négociations avec Poutine, quand elle lui a appris que la Russie venait de bombarder une nouvelle ville (en Ukraine, ndlr). Il est passé pour un idiot, ce qu’il n’aime pas du tout.

Le second moteur, c’est l’argent : Washington va vendre des armes et des technologies aux Européens. Pour lui, c’est une excellente affaire. La pression réelle viendrait des sanctions secondaires.

Que risque la Russie avec la livraison de nouvelles armes américaines à l’Ukraine ?

À mon avis, pas grand-chose. Tout dépendra des armes que le Pentagone fournira à l’Ukraine. Est-ce qu’il s’agira d’armes défensives comme les systèmes Patriot ? D’armes offensives comme les Tomahawk ? Pour l’instant, tout est enveloppé dans le brouillard de guerre, et on ignore encore ce qui sera réellement livré. S’il s’agissait d’armements véritablement décisifs, comme l’aviation, par exemple des F-16, cela pourrait placer la Russie en difficulté – à condition que l’Ukraine dispose des pilotes pour les faire voler. 

Mais ce qui est le plus crucial pour l’Ukraine, c’est le renseignement opérationnel : savoir où frapper, au bon moment, grâce à des coordonnées précises transmises par les Américains. 

Les armes permettront sans doute une meilleure défense ukrainienne, mais de là à dire que cela poussera la Russie à chercher la paix, je n’y crois pas. On est dans une guerre longue, une guerre existentielle pour les deux camps : pour l’Ukraine car si elle cesse de se battre, elle cesse d’exister ; pour Poutine parce qu’il est allé trop loin pour pouvoir reculer sans conséquences.

Les sanctions économiques de Donald Trump peuvent-elles affaiblir la Russie ?

Le commerce entre la Russie et les États-Unis est très limité. La pression réelle viendrait des sanctions secondaires, visant les pays qui achètent massivement du gaz et du pétrole russes, comme la Chine et l’Inde. Taxer ces importations à 100% aurait un effet fortement dissuasif. Si ces sanctions étaient mises en œuvre, elles seraient redoutablement efficaces. Elles auraient plus d’impact sur la machine de guerre russe que la vente d’armes à l’Ukraine – des armes payées par les Européens, rappelons-le. Cela couperait le robinet économique qui permet encore à Moscou de tenir, malgré une économie déjà affaiblie.

Ces mesures pourraient aussi toucher certains pays européens, comme la Grèce, Chypre ou Malte, qui permettent encore le transport du pétrole russe malgré les embargos. Mais ce serait aussi un retour vers une spirale de guerre commerciale mondiale(nouvelle fenêtre). Et je ne suis pas certain que Trump soit prêt à l’assumer. De toute façon, beaucoup de choses qu’il annonce ne se concrétisent jamais. Donald Trump ne menace pas réellement la Russie

Donald Trump a donné cinquante jours à Vladimir Poutine, c’est un délai très long. Comment l’interprétez-vous ?

Il est possible que ce soit un cadeau fait à Vladimir Poutine. Cinquante jours, c’est précisément la fin de l’offensive d’été. Donald Trump ne menace pas réellement la Russie : les sanctions secondaires ne seront probablement jamais mises en œuvre, les livraisons d’armes ne changeront pas fondamentalement la donne sur le terrain, et elles seront de toute façon financées par les Européens. Tout cela paraît bien léger. Cela ressemble à ces enfants dans les cours d’école qui crient : « Retenez-moi ou je fais un malheur. »

Vladimir Poutine s’est dit prêt à négocier avec l’Ukraine, tout en demandant du temps. Est-ce crédible ?

La parole de Vladimir Poutine n’a aucune valeur. Il ment, comme il l’a toujours fait avec l’Occident. Il avait promis de ne pas envahir l’Ukraine, par exemple. Cela rappelle parfaitement la formule d’Alexandre Soljenitsyne : « Ils mentent, nous savons qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent et ils mentent quand même. »

Propos recueillis par Athenais Cornette de Saint Cyr pour TF1 info.