Outre la mise en scène diplomatique de cette rencontre hors normes entre Donald Trump et Vladimir Poutine en Alaska, pensez-vous que le président russe soit réellement disposé à négocier un arrêt des combats ?
Le cessez-le-feu, Poutine n’en veut pas, car il conserve l’avantage sur le terrain. Il a été très clair : il ne souhaite pas offrir de répit aux forces ukrainiennes. En revanche, un accord de paix assorti de certaines conditions, sur la langue russe ou l’Église orthodoxe, serait envisageable, sur la base de concessions territoriales. Poutine cherche un accord de paix, mais dans les guerres en général, les combats ne cessent pas avant la conclusion définitive d’un traité.
Ou bien, au contraire, Poutine, fort de sa position actuelle, cherche-t-il simplement à gagner du temps en s’engageant dans des pourparlers sans réelle volonté de compromis ?
À Moscou, le débat reste constant entre les hommes d’affaires, les oligarques et les responsables politiques. Certains estiment que c’est une chance historique de normaliser les relations avec les États-Unis, et qu’il faut donc accepter des sacrifices, limiter les ambitions et négocier un compromis. D’autres pensent que Trump ne sera plus là dans trois ans, et qu’il faut continuer à progresser militairement pour obtenir la tutelle de l’Ukraine. Au départ, Poutine penchait clairement pour la solution dure mais son sourire dans la limousine de Trump montre qu’il apprécie la reconnaissance diplomatique. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que l’option des modérés pèse un peu plus. Par ailleurs, beaucoup de Russes ne comprennent pas très bien cette guerre : on leur a présenté un affrontement contre un Occident collectif mais ce récit perd de son efficacité face à ce rapprochement avec Trump.
Pour Moscou, l’enjeu est-il avant tout de renouer avec Washington, davantage que de chercher une issue à la guerre en Ukraine ?
L’objectif initial était de réduire l’Ukraine mais cela s’est avéré plus complexe que prévu, notamment en raison du sursaut national ukrainien. Ce qui devait être une promenade de santé est devenu un chemin de croix. Quand Trump propose un accord qui n’est pas trop défavorable mais qui implique une Ukraine indépendante avec des garanties de sécurité, Poutine paraît plus prêt qu’avant à l’accepter.
Si Trump n’arrive pas à régler la situation, pensez-vous qu’on aboutisse à un désintérêt de la question ukrainienne par les États-Unis, qui, in fine, arrangerait bien la Russie ?
Si les négociations échouent, Trump pourra rejeter la responsabilité sur Zelensky et les Européens, les accusant d’être incapables de faire la paix. Dans ce scénario, il ne se retirerait qu’à moitié. En effet, le président américain ne peut pas laisser les Russes s’emparer de toute l’Ukraine. La seule manière pour Trump de justifier un échec serait de dire que c’est la guerre de Joe Biden et des Européens, et qu’il s’en désintéresse face à l’incapacité de ces derniers à négocier. Si toutefois le conflit se poursuit, l’Ukraine risque de perdre encore plus. Il ne faut pas oublier que ce sont les Ukrainiens qui ont refusé les clauses politiques des accords de Minsk (2014). Les Russes n’ont quant à eux pas respecté les clauses militaires, mais politiquement, un statut d’autonomie pour le Donbass n’a jamais été accepté par Kiev qui est désormais en position de perdre cette région.
Propos receuillis par Pierre Coudurier pour Le Télégramme.