Paix ou renoncement ? Le plan Trump et l’impasse ukrainienne

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  • Jean de Gliniasty

    Jean de Gliniasty

    Directeur de recherche à l’IRIS, ancien ambassadeur de France en Russie

Entre ses potentiels succès et ses angles morts, quelle analyse peut-on livrer du plan Trump pour la paix en Ukraine ?

Le plan de Donald Trump reprend les principales rubriques de l’accord avorté d’avril 2022, négocié à Istanbul par les conseillers des présidents russe et ukrainien (Vladimir Medinski et Andriy Yermak) : renonciation par Kiev au Donbass et à la Crimée, non-entrée dans l’OTAN, levée des sanctions, langue russe… On se souvient que l’accord avait achoppé sur les questions des garanties de sécurité pour l’Ukraine, les Russes voulant en faire partie, et le plafonnement des effectifs et matériels de l’armée ukrainienne, les Russes demandant une limitation à 100 000 hommes. À l’époque, l’armée ukrainienne repoussait victorieusement les forces russes et le Premier ministre britannique Boris Johnson avait incité Kiev, sans doute avec l’aval du président américain, à rejeter l’accord, surtout après le massacre de Boutcha. Le sommet entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine, qui devait régler les points en suspens, ne s’est donc par tenu. Les Russes ont toujours dit que cet accord devait rester la base tout en tenant compte des réalités sur le terrain, désormais plus favorables à la Russie. C’est ce que le plan Trump en 28 points, concocté par les conseillers Steve Witkoff et Kirill Dimitriev à Miami pendant le mois d’octobre a tenté de faire. Mais les questions des garanties et des effectifs de l’armée ukrainienne restent entières, tandis que s’est ajoutée entre temps la question des acquis territoriaux russes avec l’idée difficilement acceptable pour Kiev de l’évacuation des territoires non encore occupés dans le Donbass et du gel de la ligne de démarcation à Zaporijjia et à Kherson.

Que traduit cette approche américaine dans un monde occidental fracturé ? Que révèle la situation actuelle du rapport de forces actuel entre Washington, Moscou, Kiev et les Européens ?

Donald Trump et son équipe (dont Keith Kellogg, plus favorable à l’Ukraine, vient d’être écarté) veulent se débarrasser au plus vite du conflit ukrainien et si possible tirer les bénéfices d’une paix éventuelle. Les Européens comptent peu dans son désir de normaliser les relations avec la Russie pour se consacrer au « business » et à la Chine. Mais l’Europe ne peut être écartée car elle devra intervenir dans les garanties de sécurité et dans le financement de la reconstruction de l’Ukraine dévastée. Le plan en 28 points mentionne le stationnement d’avions de chasse européens en Pologne, la participation financière de l’Europe à la reconstruction de l’Ukraine, l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne, alors même qu’elle n’a pas été consultée pour la rédaction du plan. Mais elle a tenté de faire entendre sa voix et d’améliorer un plan qu’elle juge trop défavorable à ses intérêts et à ceux de Kiev : elle demande notamment une augmentation des effectifs ukrainiens minimaux à 800 000 hommes (au lieu de 600 000 dans le plan initial) et surtout, ce qui sera inacceptable pour Moscou, une négociation du compromis territorial après la mise en vigueur du cessez-le-feu et non avant. Kiev pour sa part est sous une triple pression, celle du scandale de corruption qui affaiblit Volodymyr Zelensky, celle de la poussée russe sur le terrain et celle des États-Unis qui menacent de couper toute leur aide.

Quelles pourraient être les potentielles conséquences d’un tel plan de paix pour l’Union européenne ?

Les Européens, à la différence des épisodes précédents, ont accepté de prendre comme base le texte (russo-)américain en y apportant des amendements. Ils se résignent à une éventuelle paix plus favorable aux intérêts russes, bien qu’ils cherchent à l’améliorer à la marge,  car ils savent que Kiev ne peut plus gagner la guerre et qu’eux même ne pourront pas se substituer à l’aide américaine à long terme. De même qu’ils n’ont pas su faire appliquer les accords de Minsk (qui auraient épargné à l’Ukraine bien des pertes en homme et en territoires), ils n’ont pas su se poser en médiateurs et se sont vus court-circuiter par Donald Trump. Finalement, en cas de succès de l’initiative de Donald Trump, ils seront indirectement bénéficiaires de l’amélioration globale de la situation politique, militaire et économique sur le continent.