L’économie ivoirienne sous Alassane Ouattara : un succès macroéconomique aux défis sociaux persistants

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Sous les trois mandats d’Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire a connu une croissance économique soutenue et relativement stable. Entre 2012 et 2024, le PIB réel a progressé en moyenne de 6 à 7 % par an, plaçant le pays au-dessus de la moyenne subsaharienne. Cette dynamique a reposé sur la diversification progressive de l’économie : l’agriculture de rente (cacao, anacarde, caoutchouc) demeure essentielle, mais l’industrie extractive (or, hydrocarbures avec la mise en production du champ Baleine), l’agro-industrie, les télécoms, le BTP et les services financiers ont pris une place croissante. Les grands programmes d’infrastructures (ponts, routes, ports, énergie, stades, métro d’Abidjan) ont renforcé cette tendance, contribuant à asseoir le pays en locomotive économique de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA).

Sur le plan des finances publiques, les efforts de consolidation ont été constants mais contraints. Le déficit budgétaire, qui avait fortement augmenté avec la pandémie et les chocs externes, a progressivement reculé pour atteindre 4 % du PIB en 2024 et devrait converger vers la norme de 3 % fixée par l’UEMOA dès 2025. Cette trajectoire a été soutenue par une hausse des recettes fiscales, encore modestes (14,4 % du PIB en 2024, contre l’objectif de 20 %). La dette publique a connu une forte progression, passant de 24,6 % du PIB en 2012 à près de 60 % en 2024, avant une stabilisation attendue. Abidjan a fait preuve d’innovation dans le financement : recours accru aux eurobonds, émission obligataire en yen (Samouraï bond) et même une première émission en francs CFA sur les marchés internationaux, témoignant d’une gestion active et diversifiée de la dette. Le FMI et la Banque mondiale jugent actuellement le risque de surendettement modéré, mais la marge de manœuvre budgétaire demeure limitée compte tenu de l’insuffisance du recouvrement face aux besoins de services publics.

Au niveau extérieur, les exportations agricoles et minières restent dominantes, mais l’essor du pétrole et du gaz a renforcé les recettes en devises. Les importations demeurent importantes, tirées par les besoins en biens d’équipement et en produits alimentaires. La balance des paiements s’est nettement améliorée grâce à la récente hausse des cours des matières premières (cacao, or, cajou) et à la montée en puissance des exportations d’hydrocarbures. Malgré un déficit courant persistant notamment au niveau des services et des revenus primaires (rapatriement des bénéfices des multinationales), les flux d’IDE et de capitaux permettent de financer les déséquilibres et de reconstituer progressivement les réserves de change au sein de la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

Enfin, la situation monétaire et l’inflation témoignent d’une relative stabilité. Le système bancaire s’est montré résilient, avec une hausse continue des crédits à l’économie et une part relativement contenue de créances douteuses. Le cadre monétaire du franc CFA a offert une ancre de stabilité, renforçant la confiance des investisseurs et facilitant l’accès du pays aux marchés financiers internationaux. Toutefois, le maintien d’une inflation basse et d’une monnaie stable reste conditionné à la maîtrise des chocs externes, à la volonté de prolonger une coopération monétaire au sein de l’UEMOA et à la poursuite des réformes structurelles.

La forte croissance économique enregistrée sous les mandats d’Alassane Ouattara a eu des retombées positives, mais inégales, sur les conditions de vie des Ivoiriens. Sur le plan social, le taux de pauvreté est passé de 55 % en 2011 à 37,5 % en 2021, soit une baisse notable, mais encore insuffisante au regard des ambitions fixées (20 % à l’horizon 2030). La progression du PIB par habitant – estimé autour de 2 900 USD en 2025 – reste modeste par rapport à la moyenne des pays émergents et n’a pas permis l’avènement d’une large classe moyenne, d’autant plus que les inégalités entre zones urbaines et rurales demeurent marquées.

En matière d’emploi, la dynamique économique a contribué à limiter le chômage, notamment des jeunes, qui se situe autour de 5 %, un des taux les plus faibles de la région. Cependant, cette statistique masque la prédominance du sous-emploi et l’importance du secteur informel, qui concentre encore près de 80 % des emplois et plus de 40 % du PIB. La transformation structurelle de l’économie ivoirienne reste donc inachevée, et la création d’emplois formels, mieux rémunérés et socialement protégés, progresse à un rythme insuffisant pour absorber la forte croissance démographique.

L’accès aux services de base s’est nettement amélioré grâce à des investissements publics massifs. Le taux d’électrification est passé de 55,8 % en 2012 à plus de 90 % des ménages en 2024, tandis que la Côte d’Ivoire s’est dotée d’infrastructures modernes dans les transports, la santé et l’éducation. Le pays a mis en place une couverture maladie universelle, qui couvrait environ la moitié de la population ivoirienne fin 2024. Toutefois, ces progrès masquent encore de fortes disparités : les zones rurales, notamment dans le nord et l’est du pays, restent sous-équipées, et l’accès à l’éducation et aux soins demeure concentré dans les milieux urbains et parmi les ménages les plus aisés.

Plusieurs défis majeurs restent à relever pour que la trajectoire de croissance ivoirienne devienne réellement durable et inclusive :

Inégalités sociales et régionales persistantes. Malgré la baisse du taux de pauvreté, plus d’un tiers de la population vit encore sous le seuil de pauvreté selon les chiffres de la Banque mondiale. Les zones rurales, notamment au nord et à l’est, accusent un retard marqué en infrastructures, éducation et santé. L’accès aux services de base est inégal, concentré dans les grandes villes comme Abidjan, où se concentre 80 % de l’activité économique.

Dépendance aux matières premières et vulnérabilité climatique. L’économie reste fortement tributaire du cacao, de l’anacarde, de l’or et, de plus en plus, des hydrocarbures. Les aléas climatiques, la volatilité des prix mondiaux et la faible productivité agricole fragilisent cette base. L’autosuffisance alimentaire, notamment en riz, n’est toujours pas atteinte, et les pertes logistiques pèsent sur les cultures vivrières.

Faible formalisation et emploi de qualité insuffisant. Plus de 80 % des emplois demeurent informels, avec peu de protection sociale et de revenus stables. Le chômage officiel est faible, mais le sous-emploi est massif. De plus, les compétences des jeunes sont souvent inadaptées au marché du travail, limitant leur insertion dans les secteurs modernes et productifs (le système éducatif peine à fournir des compétences adaptées aux besoins des secteurs clés : transformation agricole, numérique, mines, énergie, BTP).

Gouvernance et climat sociopolitique. La lutte contre la corruption, bien qu’amorcée, reste insuffisante : les pertes liées à la corruption sont estimées à 4 % du PIB chaque année selon une note de la Banque mondiale (juillet 2024). Par ailleurs, la stabilité politique demeure fragile à l’approche de l’élection présidentielle, et l’insécurité dans le nord liée aux menaces terroristes pourrait menacer certains acquis économiques.

Sources mobilisées : Banque mondiale, FMI, autorités ivoiriennes, Banque africaine du développement, service économique régional d’Abidjan.

L’économie ivoirienne sous Alassane Ouattara : un succès macroéconomique aux défis sociaux persistants

Sous les trois mandats d’Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire a été portée par une croissance soutenue apportant une stabilité au pays, des investissements massifs en infrastructures et une diversification progressive de ses activités. Si les indicateurs macroéconomiques témoignent d’une trajectoire solide et d’une gestion budgétaire maîtrisée, les fruits de cette expansion restent inégalement partagés. Pauvreté rurale, sous-emploi massif, dépendance aux matières premières et disparités régionales continuent de freiner la promesse d’une prospérité véritablement inclusive et durable. Alors que les élections présidentielles approchent, débutant le 25 octobre 2025, Émilie Laffiteau, macroéconomiste et chercheuse associée à l’IRIS, dresse un bilan des 14 dernières années.

Sous les trois mandats d’Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire a connu une croissance économique soutenue et relativement stable. Entre 2012 et 2024, le PIB réel a progressé en moyenne de 6 à 7 % par an, plaçant le pays au-dessus de la moyenne subsaharienne. Cette dynamique a reposé sur la diversification progressive de l’économie : l’agriculture de rente (cacao, anacarde, caoutchouc) demeure essentielle, mais l’industrie extractive (or, hydrocarbures avec la mise en production du champ Baleine), l’agro-industrie, les télécoms, le BTP et les services financiers ont pris une place croissante. Les grands programmes d’infrastructures (ponts, routes, ports, énergie, stades, métro d’Abidjan) ont renforcé cette tendance, contribuant à asseoir le pays en locomotive économique de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA).
Sur le plan des finances publiques, les efforts de consolidation ont été constants mais contraints. Le déficit budgétaire, qui avait fortement augmenté avec la pandémie et les chocs externes, a progressivement reculé pour atteindre 4 % du PIB en 2024 et devrait converger vers la norme de 3 % fixée par l’UEMOA dès 2025. Cette trajectoire a été soutenue par une hausse des recettes fiscales, encore modestes (14,4 % du PIB en 2024, contre l’objectif de 20 %). La dette publique a connu une forte progression, passant de 24,6 % du PIB en 2012 à près de 60 % en 2024, avant une stabilisation attendue. Abidjan a fait preuve d’innovation dans le financement : recours accru aux eurobonds, émission obligataire en yen (Samouraï bond) et même une première émission en francs CFA sur les marchés internationaux, témoignant d’une gestion active et diversifiée de la dette. Le FMI et la Banque mondiale jugent actuellement le risque de surendettement modéré, mais la marge de manœuvre budgétaire demeure limitée compte tenu de l’insuffisance du recouvrement face aux besoins de services publics.
Au niveau extérieur, les exportations agricoles et minières restent dominantes, mais l’essor du pétrole et du gaz a renforcé les recettes en devises. Les importations demeurent importantes, tirées par les besoins en biens d’équipement et en produits alimentaires. La balance des paiements s’est nettement améliorée grâce à la récente hausse des cours des matières premières (cacao, or, cajou) et à la montée en puissance des exportations d’hydrocarbures. Malgré un déficit courant persistant notamment au niveau des services et des revenus primaires (rapatriement des bénéfices des multinationales), les flux d’IDE et de capitaux permettent de financer les déséquilibres et de reconstituer progressivement les réserves de change au sein de la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Enfin, la situation monétaire et l’inflation témoignent d’une relative stabilité. Le système bancaire s’est montré résilient, avec une hausse continue des crédits à l’économie et une part relativement contenue de créances douteuses. Le cadre monétaire du franc CFA a offert une ancre de stabilité, renforçant la confiance des investisseurs et facilitant l’accès du pays aux marchés financiers internationaux. Toutefois, le maintien d’une inflation basse et d’une monnaie stable reste conditionné à la maîtrise des chocs externes, à la volonté de prolonger une coopération monétaire au sein de l’UEMOA et à la poursuite des réformes structurelles.

La forte croissance économique enregistrée sous les mandats d’Alassane Ouattara a eu des retombées positives, mais inégales, sur les conditions de vie des Ivoiriens. Sur le plan social, le taux de pauvreté est passé de 55 % en 2011 à 37,5 % en 2021, soit une baisse notable, mais encore insuffisante au regard des ambitions fixées (20 % à l’horizon 2030). La progression du PIB par habitant – estimé autour de 2 900 USD en 2025 – reste modeste par rapport à la moyenne des pays émergents et n’a pas permis l’avènement d’une large classe moyenne, d’autant plus que les inégalités entre zones urbaines et rurales demeurent marquées.

En matière d’emploi, la dynamique économique a contribué à limiter le chômage, notamment des jeunes, qui se situe autour de 5 %, un des taux les plus faibles de la région. Cependant, cette statistique masque la prédominance du sous-emploi et l’importance du secteur informel, qui concentre encore près de 80 % des emplois et plus de 40 % du PIB. La transformation structurelle de l’économie ivoirienne reste donc inachevée, et la création d’emplois formels, mieux rémunérés et socialement protégés, progresse à un rythme insuffisant pour absorber la forte croissance démographique.

L’accès aux services de base s’est nettement amélioré grâce à des investissements publics massifs. Le taux d’électrification est passé de 55,8 % en 2012 à plus de 90 % des ménages en 2024, tandis que la Côte d’Ivoire s’est dotée d’infrastructures modernes dans les transports, la santé et l’éducation. Le pays a mis en place une couverture maladie universelle, qui couvrait environ la moitié de la population ivoirienne fin 2024. Toutefois, ces progrès masquent encore de fortes disparités : les zones rurales, notamment dans le nord et l’est du pays, restent sous-équipées, et l’accès à l’éducation et aux soins demeure concentré dans les milieux urbains et parmi les ménages les plus aisés.

Plusieurs défis majeurs restent à relever pour que la trajectoire de croissance ivoirienne devienne réellement durable et inclusive :
Inégalités sociales et régionales persistantes. Malgré la baisse du taux de pauvreté, plus d’un tiers de la population vit encore sous le seuil de pauvreté selon les chiffres de la Banque mondiale. Les zones rurales, notamment au nord et à l’est, accusent un retard marqué en infrastructures, éducation et santé. L’accès aux services de base est inégal, concentré dans les grandes villes comme Abidjan, où se concentre 80 % de l’activité économique.
Dépendance aux matières premières et vulnérabilité climatique. L’économie reste fortement tributaire du cacao, de l’anacarde, de l’or et, de plus en plus, des hydrocarbures. Les aléas climatiques, la volatilité des prix mondiaux et la faible productivité agricole fragilisent cette base. L’autosuffisance alimentaire, notamment en riz, n’est toujours pas atteinte, et les pertes logistiques pèsent sur les cultures vivrières.
Faible formalisation et emploi de qualité insuffisant. Plus de 80 % des emplois demeurent informels, avec peu de protection sociale et de revenus stables. Le chômage officiel est faible, mais le sous-emploi est massif. De plus, les compétences des jeunes sont souvent inadaptées au marché du travail, limitant leur insertion dans les secteurs modernes et productifs (le système éducatif peine à fournir des compétences adaptées aux besoins des secteurs clés : transformation agricole, numérique, mines, énergie, BTP).
Gouvernance et climat sociopolitique. La lutte contre la corruption, bien qu’amorcée, reste insuffisante : les pertes liées à la corruption sont estimées à 4 % du PIB chaque année selon une note de la Banque mondiale (juillet 2024). Par ailleurs, la stabilité politique demeure fragile à l’approche de l’élection présidentielle, et l’insécurité dans le nord liée aux menaces terroristes pourrait menacer certains acquis économiques.

Sources mobilisées : Banque mondiale, FMI, autorités ivoiriennes, Banque africaine du développement, service économique régional d’Abidjan.