La stratégie indopacifique britannique face à l’engagement ukrainien : un dilemme stratégique pour le Royaume-Uni ?

  • Ariel Belaisch

    Ariel Belaisch

    Analyste en stratégie internationale, diplômé d’IRIS Sup’ en Géopolitique et prospective en 2024

Le 4 mars dernier, le roi Charles III (portant par ailleurs ses décorations militaires canadiennes) s’est rendu à bord du HMS Prince of Wales, navire amiral de la Royal Navy, en vue de son déploiement en Indo-Pacifique dans les prochains mois. Cela faisait près de quarante ans qu’un souverain britannique ne s’était pas rendu à bord d’un navire de guerre en mer, signe de l’importance et de l’échelle de ce déploiement pour la défense britannique. Les objectifs étaient triples : mener des exercices multinationaux avec plusieurs marines de guerre alliées du Royaume-Uni, assurer des missions de protection de la liberté de navigation, et ultimement, signaler les nouvelles capacités de projection du Royaume-Uni et de sa Royal Navy. Ce déploiement voulait alors souligner le tilt, ou « pivot », de la politique extérieure britannique vers l’Indo-Pacifique et sa réorientation post-Brexit vers cette région, au détriment de l’Europe, considérée comme le nouveau centre névralgique de la mondialisation et des affaires internationales. Ce pivot, prévu par la « revue intégrée de la sécurité, de la défense, du développement et de la politique étrangère » (revue intégrée) publiée en 2021, prévoyait en effet de faire du Royaume-Uni un pays plus ouvert sur le monde, mieux connecté, plus fort, plus à même de défendre ses intérêts et de s’imposer comme une puissance de référence. Il planifiait également de donner au Royaume-Uni les moyens d’un Global Britain (« Grande-Bretagne mondiale ») et d’en faire un acteur incontournable sur la scène internationale, capable de jouer un rôle de leader dans les domaines de la sécurité, du commerce et de la diplomatie, tout en consolidant ses alliances et en développant de nouvelles relations avec les puissances émergentes. Pour ce faire, le pivot vers le bassin indopacifique et ses États riverains (notamment ceux de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est ou ASEAN) est apparu comme une nécessité pour que le Royaume-Uni demeure une puissance respectée. La signature d’AUKUS (qui, au-delà du contrat portant sur le renouvellement de la sous-marinade australienne, est un traité prévoyant une coopération plus importante en Indo-Pacifique entre le Royaume-Uni, l’Australie et les États-Unis), l’accession au statut de Dialogue Partner de l’ASEAN en août 2021, la demande d’adhésion du Royaume-Uni à l’Accord de partenariat transpacifique (CPTPP) en mars 2021 (actée en 2023, rendue effective en décembre 2024), sont les exemples les plus éclatants du pivot post-Brexit de la politique extérieure britannique vers l’Indo-Pacifique.

Le choc ukrainien a toutefois remis en cause les orientations géopolitiques britanniques, obligeant le pays à tourner son attention vers l’Ukraine et l’Europe. Dès lors, peut-on toujours parler de tilt britannique vers l’Indo-Pacifique, dans le contexte bien connu de l’invasion russe de l’Ukraine et du fort réinvestissement du Royaume-Uni dans les affaires européennes ? Si Londres maintient son ambition d’être la principale puissance européenne dans la région en 2030, la guerre en Ukraine a contraint le gouvernement britannique à recentrer ses efforts sur la sécurité du continent, ralentissant de facto son pivot stratégique vers l’Asie sans pour autant y renoncer.