Analyses / Observatoire politique et géostratégique des États-Unis
25 septembre 2025
La démocratie américaine à l’épreuve du trumpisme

Alors que les États-Unis ont vécu un mois de septembre tourmenté par des évènements qui ont fait la Une de l’actualité mettant en exergue les fractures internes du pays (assassinat de l’influenceur ultraconservateur Charlie Kirk édifié au rang de martyr, mise à pied de Jimmy Kimmel de la chaîne ABC mettant à mal la liberté d’expression…), Donald Trump vient de profiter de sa tribune lors de l’Assemblée générale des Nations unies pour réaffirmer son agenda : hostilité à l’immigration, climatoscepticisme, mépris du système onusien et vision du monde profondément centrée sur les intérêts américains. Quel état des lieux pouvons-nous faire de la société américaine et de la place des États-Unis au sein du système international ? Quid de l’avenir du trumpisme, alors que les élections de mi-mandat ne sont plus éloignées dans l’agenda ? Le point avec Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’IRIS, autrice de « Géopolitique des États-Unis » (Eyrolles, 2e édition, 2025).
Que nous disent l’assassinat de l’influenceur ultraconservateur Charlie Kirk et son instrumentalisation politique, ainsi que la mise à pied qui s’est avérée temporaire du présentateur Jimmy Kimmel, de l’état de la société étasunienne, alors que certains fondamentaux de la démocratie américaine semblent mis à mal ?
La mort, atroce, de Charlie Kirk (qui s’inscrit dans une longue tradition de violence politique aux États-Unis) est clairement un tournant parce qu’elle est, en effet, instrumentalisée par les partisans MAGA (Make America Great Again) pour nourrir le récit de la vengeance et de la haine contre leurs opposants politiques (ou vus comme tels, et le spectre est large puisqu’il inclut aussi journalistes, scientifiques et humoristes). Qu’importe la vérité, pourvu qu’on nourrisse le récit. Pour Steve Bannon, la mort de Kirk constitue « un acte de guerre ». Selon Elon Musk, « la gauche est le parti du meurtre ». Depuis des mois, des ennemis intérieurs de l’Amérique sont désignés, on appelle à la dénonciation d’enseignants et de chercheurs, et les contrôles policiers au faciès sont validés par la Cour suprême : ce drame n’en est que le prolongement.
Le président des États-Unis a demandé que les drapeaux soient mis en berne pour plusieurs jours, comme si le pays était en deuil national, alors que Kirk n’occupait aucune fonction officielle. Le président rappelle ainsi un point essentiel : il reconnaît une nouvelle fois les influenceurs Internet, sortis de nulle part, comme de véritables responsables politiques (il faut du reste absolument s’intéresser au modèle économique des podcasteurs et des streamers). Donald Trump et J.D. Vance lui doivent beaucoup et ils le savent : le premier parce que Kirk est l’un des artisans du renouvellement générationnel de l’électorat trumpiste blanc et masculin, le second parce qu’il a œuvré à le rapprocher du premier.
D’un côté, Kirk est décrit par les MAGA comme un adepte du débat (ce qu’il n’était pas), de l’autre sa mort sert de prétexte à tuer toute forme de débat. La liberté d’expression est garantie aux États-Unis par le premier amendement de la Constitution. Mais il devient plus grave de dire « Kirk était d’extrême droite » que « le cerveau des femmes noires est dysfonctionnel » (ici nous citons Charlie Kirk).
On se rappelle les accusations de cancel culture contre la gauche : en réalité, c’est bien la présidence Trump qui exige des licenciements de journalistes ou d’enseignants, interdit des livres dans les bibliothèques, veut contrôler la programmation des musées et des théâtres, ou encore qui, par la bouche de son conseiller Steve Miller, qualifie les démocrates de « terroristes » (or les terroristes, on les met en prison). Tout ceci est parfaitement cohérent avec le « Projet 2025 », la promesse de renouveau messianique d’un Peter Thiel (financeur des campagnes de Vance) ou de « régénérescence » de la société américaine débarrassée de ses indésirables. Finalement, la mort de Kirk sert simplement de justification et d’accélération à ce projet déjà en cours.
Le système multilatéral est en crise, et Donald Trump n’est pas de ceux qui appellent à son secours. Lors de son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU du 23 septembre 2025, le président américain s’est attaqué à l’organisation, mettant en cause son utilité. Comment définir l’idéologie qui est ressortie de ce discours ? Quel impact a ses propos au sein de la communauté internationale ?
Rien n’est nouveau dans ce discours : à chaque fois qu’il parle à l’ONU, Trump insulte le monde. Il tente ainsi de nous contraindre à commenter sa petite phrase, à faire le buzz, ce qui évite de parler du fond, des sujets importants sur le plan géopolitique, et en particulier sur son absence de stratégie et de vision. Les conflits gelés se multiplient, ils se sont aggravés en Ukraine et au Moyen-Orient depuis sa réélection. L’incertitude qu’il a créée en matière économique et commerciale est immense (droits de douane erratiques, taxe prohibitive sur les visas H-1B, revirements sans cesse), la Chine est renforcée dans le monde non-occidental (elle se pose comme le pôle de stabilité mondiale et comble les espaces délaissés par les États-Unis), la fâcherie avec l’Inde est lourde de conséquences pour l’équilibre des forces en Asie, la fin de USAID crée des béances dans le maillage du renseignement occidental, tue le soft-power américain et condamne des dizaines de milliers de gens à la mort. Une grande partie du monde ne prend plus Trump au sérieux.
Une seule chose avance à grands pas (mais on en parle peu) : la conquête de nouveaux marchés par la tech américaine, qui politise toujours plus les contenus (IA, etc.) et les algorithmes.
Trump, à l’ONU, a par ailleurs fait le buzz sur l’Ukraine mais demain, qui dit qu’il ne retournera pas une nouvelle fois son propos pour vanter la grandeur de Vladimir Poutine ?
En novembre 2026 auront-lieu les élections de mi-mandat, traditionnellement défavorables au parti du président en office. Alors que Trump vante les succès de sa présidence, parlant d’un « Golden Age of America », qu’en est-il concrètement ? Où en est la popularité de Trump et de sa politique auprès des Américains ? Quid de l’opposition ?
Les républicains savent que la partie sera difficile, notamment à la Chambre de représentants. Leur stratégie pour l’heure est de modifier la carte électorale dans les gros États conservateurs (par exemple au Texas), afin d’y gagner plus d’élus. En réaction, la Californie démocrate envisage la même chose. La popularité de Trump est stable dans l’électorat républicain (autour de 85 % d’opinions positives) après avoir baissé en janvier, mais elle faiblit chez les indépendants (30 % contre 40 % en janvier).
Pour l’heure, le parti démocrate n’est pas vraiment audible (il multiplie les livres sur la défaite de 2024 et ne s’oppose pas à Trump frontalement, il n’a pas de projet politique, pas d’agenda), mais les choses bougent beaucoup à gauche de l’échiquier politique, donc en dehors ou aux marges du parti, et ça compte. Ainsi, la probable victoire de Zohran Mamdani, qui est ouvertement socialiste, à la mairie de New York en novembre prochain est un signe fort du renouveau du camp progressiste. La sociologie de ce vote sera très intéressante à regarder. C’est de ce côté-ci que les démocrates vont se renouveler, pas du côté de Gavin Newsom (le gouverneur de Californie).
Les podcasts de jeunes militants montent aussi beaucoup et les manifestations anti-Trump, venues de la société civile, sont très nombreuses, partout dans le pays.