Japon : Sanae Takaichi, une « forte femme » Premier ministre pour remobiliser un archipel en crise ?

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  • Marianne Peron-Doise

    Marianne Peron-Doise

    Directrice de recherche à l’IRIS, co-responsable du programme Asie-Pacifique, directrice de l’Observatoire géopolitique de l’Indo-Pacifique

Connue pour ses positions conservatrices et son révisionnisme historique, Sanae Takaichi ne cache pas son admiration pour l’ancienne Première ministre britannique Margaret Thatcher qui semble être son modèle. On ne peut que souligner sa pugnacité car son parcours politique n’a pas été simple depuis son élection en tant que députée dans sa circonscription de Nara en 1993 et son entrée au PLD en 1996. Elle n’est pas issue d’une lignée politique contrairement à son rival au sein du PLD, Shinjiro Koizumi, fils de l’ancien Premier ministre Junichiro Koizumi en poste de 2001 à 2006. De plus, comme il a été souligné abondamment dans les commentaires accompagnant sa désignation, c’est une femme, et au-delà d’un milieu politique dominé par des hommes, la société japonaise dans son ensemble demeure très traditionnelle quant au rôle que peuvent y jouer les femmes, y compris dans le monde du travail. Pour autant, il semblerait que la cause des femmes ne soit pas une question à laquelle madame Takaichi souhaite s’atteler.

Politiquement, Sanae Takaichi se positionne comme l’héritière du très nationaliste Premier ministre Shinzo Abe, tragiquement assassiné en juillet 2022. Celui-ci a montré une longévité exceptionnelle à son poste, de 2012 à 2020, ce qui lui a permis de développer une intense activité diplomatique en promouvant le concept d’Indo-Pacifique et en réactivant le QUAD (dialogue quadrilatéral sur les questions de sécurité entre les États-Unis, l’Inde, l’Australie et le Japon). L’actuelle Première ministre ne bénéficie pas du même contexte interne. En effet le PLD, parti gouvernemental qui dominait la vie politique du pays quasiment sans interruption depuis l’après-guerre est affaibli et discrédité par des scandales à répétition. Ceci lui a d’ailleurs coûté sa majorité lors des dernières élections législatives de juillet 2025. De plus, le soutien du parti centriste Komeito, qui lui était acquis depuis 1999 a volé en éclats. Ce dernier souhaitait plus de transparence sur les financements accordés aux partis politiques et a vraisemblablement été effrayé par le positionnement très nationaliste de madame Takaichi.

La Première ministre a su se faire convaincante et au terme de laborieuses négociations avec le parti japonais de l’Innovation, une composante réformatrice de centre-droit dont le fief est Osaka, un accord de coalition a pu être conclu le 20 octobre. Toutefois cet ensemble apparait fragile et l’opposition représentée par le Parti démocrate constitutionnel et le Parti démocrate du peuple reste en embuscade. Le gouvernement a perdu la majorité au sein des deux chambres du parlement. Ainsi, il ne dispose que de 231 sièges au sein de la chambre basse (Assemblée nationale), soit 196 pour le PLD et 35 pour Ischin. Ainsi, il lui manque 3 sièges pour disposer de la majorité. L’opposition dispose quant à elle de 175 sièges. 

Les deux partis, PLD et Ishin, ont convenus de réformer la sécurité sociale, de relancer le nucléaire et d’agir en faveur de la natalité alors que le déclin démographique de l’archipel et son vieillissement pèsent de plus en plus sur son avenir. La Première ministre a pour sa part annoncé qu’elle entendait lutter contre la hausse des prix – préoccupation majeure des Japonais – confrontés à une hausse sans précédent du riz mais également encadrer l’immigration. Une thématique désormais incontournable dans la vie politique de l’archipel et qui a permis la percée aux élections sénatoriales de juillet 2025 d’un parti populiste le Sanseito dont le mot d’ordre est « le Japon aux Japonais ». Celui-ci dispose de 14 sièges au Sénat.

Reste à savoir si Sanae Takaichi pourra appliquer son programme et quelle est la nature des concessions accordées au Parti de l’innovation. Celui-ci vise le renforcement de l’autonomie régionale, une réduction du nombre de députés et de membres du gouvernement ainsi qu’une diminution les impôts et des coûts de la sécurité sociale. Des perspectives qui contrastent avec la ligne politique de Madame Takaichi, qui met l’accent sur une forte expansion budgétaire financée, si nécessaire, par des obligations déficitaires pour relancer la quatrième économie mondiale.

Par ailleurs, le parti Ishin soutient un plafonnement plus strict du nombre de main-d’œuvre étrangère, arguant que le Japon devrait augmenter sa productivité nationale grâce à la numérisation et à la revitalisation régionale. Or jusqu’ici le PLD tendait à encourager la présence de travailleurs étrangers pour pallier la pénurie de main-d’œuvre dans l’agriculture, l’industrie manufacturière et la santé.

Enfin, les deux partis partagent une préoccupation croissante concernant la propriété étrangère d’actifs stratégiques. Le parti Ishin a proposé de renforcer le contrôle des acquisitions immobilières et foncières par des acheteurs étrangers, visant sans les nommer les acheteurs chinois.

En matière de défense, la présence de Ishin pourrait également se faire sentir. Jusqu’à présent, l’influence du Komeito au sein de la coalition formée avec le PLD se traduisait par un rôle modérateur. De sensibilité pacifiste, celui-ci a toujours été réticent à un trop grand renforcement de l’outil militaire nippon et désapprouvait les visites au sanctuaire Yasukuni de Tokyo, où reposent des soldats tombés au combat y compris des criminels de guerre. Le Komeito est également connu pour son désir de promouvoir des relations et un dialogue avec la Chine. Un lien par ailleurs entretenu au sein de l’opposition par l’influent Yukio Hatoyama, du Parti démocrate constitutionnel, ancien Premier ministre de 2009 à 2010.   

Le Parti de l’innovation quant à lui met l’accent sur la dissuasion et la préparation des forces armées en prônant une « défense proactive » à l’instar de Shinzo Abbe. En phase avec le PLD, Ishin soutient clairement l’augmentation des dépenses de défense à 2 % du PIB, un objectif que le Japon est en passe d’atteindre. Ainsi, en matière de politique étrangère et de défense, il est probable que la coalition cherche à approfondir relation de défense avec les États-Unis et ses partenaires régionaux, tout en adoptant une position plus ferme à l’égard de la Chine et de la Corée du Nord.

Sans réelle expérience diplomatique, Sanae Takaichi doit se préparer à une rencontre avec le président américain, Donald Trump, attendu le 27 octobre 2025 à Tokyo, ainsi qu’à des déplacements au sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), le 26 octobre en Malaisie, et au Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC), en Corée du Sud, du 28 au 31 octobre 2025. Elle pourrait à cette occasion s’entretenir avec le président sud-coréen, Lee Jae-myung et peut-être avec le dirigeant chinois, Xi Jinping.

Dans la perspective de ces deux dernières rencontres, elle a renoncé à se rendre, au festival d’automne du sanctuaire de Yasukuni, qui reste considéré comme un symbole du militarisme nippon par la Chine et la Corée du Sud. Sans doute, faut-il y voir une recherche d’apaisement dans la relation avec deux proches voisins importants pour l’archipel qui dénote une relative souplesse diplomatique. Sans doute alerté par certaines déclarations de madame Takaichi en faveur de Taiwan, le ministère chinois des Affaires étrangères a indiqué espérer des relations « mutuellement avantageuses » avec Tokyo. Quant à la relation avec la Corée du Sud, le rapprochement opéré par Shigeru Ishiba avec le dirigeant sud-coréen devrait se confirmer et permettre la poursuite de la coopération engagée via le format trilatéral et les réunions Corée du Sud-Japon-États-Unis mis en place par l’administration Biden lors du Sommet de Camp David en août 2023.

Pour autant, les possibles points de friction ne manquent pas avec le grand allié américain. On mentionnera les contours encore flous des 500 milliards de dollars d’investissements obtenus par le président Trump en marge des discussions sur l’accord tarifaire entre les deux pays. Donald Trump souhaite par ailleurs que Tokyo cesse d’importer de l’énergie russe et augmente ses dépenses de défense. Pour l’heure, Madame Takaichi soutient le développement capacitaire des Forces d’autodéfenses (FAD) nippones, qui font l’objet d’un programme quinquennal de renforcement, le budget annuel de la défense devant être doublé pour atteindre 2 % du produit intérieur brut d’ici 2027. Cependant, Donald Trump pourrait rapidement exiger que le Japon augmente ses dépenses militaires pour atteindre les objectifs de l’OTAN, soit 5 % du PIB, et achète davantage d’armes américaines.