Éditos de Pascal Boniface
23 octobre 2025
« Jacques-Louis David : L’empereur des peintres » – 4 questions à David Chanteranne

Historien, rédacteur en chef de la Revue du Souvenir Napoléonien, directeur des sites patrimoniaux de la ville de Rueil-Malmaison, David Chanteranne répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage Jacques-Louis David. L’empereur des peintres.
Jacques-Louis David, peintre de l’empereur ou empereur des peintres ?
Il a été les deux à la fois. D’abord, par sa rencontre en 1797 avec Napoléon Bonaparte, il accompagne l’ascension du général avant de le servir officiellement comme artiste dès le Consulat : le 18 décembre 1804, il est nommé « Premier peintre de l’empereur » et se voit confier la réalisation de tableaux de grandes dimensions devant fixer les cérémonies inaugurales du régime, à commencer par le sacre. Mais plus largement, lorsqu’on étudie sa vie, on peut aussi le qualifier d’empereur des peintres. Il a en effet dominé les arts pendant près d’un demi-siècle, organisé autour de lui une armée de fidèles disciples, puis vécu la fin de son existence en exil. Le parallèle entre David et Napoléon est troublant.
Comme Sieyès, il aurait pu dire : « J’ai vécu », ayant connu la Révolution, étant régicide, proche de Robespierre jusqu’à son exécution, puis sa réhabilitation sous Napoléon avant l’exil à la chute de l’Empire…
C’est en effet un destin hors du commun. Il aurait pu se contenter, par sa formation, de n’être qu’un artiste parmi d’autres. Mais lorsque la Révolution éclate, il se fait un farouche défenseur des idées républicaines, monte à la tribune et préside même la Convention en janvier 1794. Ses discours enflammés et son rôle dans la condamnation de centaines de personnes en font un personnage influent de la Terreur robespierriste. À la chute de « l’Incorruptible », il est emprisonné et échappe de peu à la guillotine. Le Directoire puis l’arrivée de Napoléon lui apportent une nouvelle stabilité. Après la chute de l’Empire, comme il est régicide et qu’il a approuvé les Cent-Jours, il doit s’exiler à Bruxelles.
Il a créé une école, ayant eu de nombreux disciples et de nombreux élèves…
David tient à partager son expérience. Ses échecs répétés pour le concours du prix de Rome lui ont appris à se méfier d’un enseignement académique. Il souhaite au contraire enseigner directement sa technique et son sens du coloris au plus grand nombre. Au total, ce sont près de six cents élèves qui passent dans son atelier, qu’ils soient d’ailleurs peintres, dessinateurs, graveurs ou même sculpteurs. Lorsqu’il se rend auprès de ses disciples, il prend directement la palette et le pinceau pour leur montrer le rendu qu’il espère sur la toile. Cette formation individualisée lui vaut l’estime de nombreux artistes, mais aussi la jalousie de ceux qui restent exclus de son enseignement ou cherchent à rompre avec le style néoclassique dont il est le plus fervent défenseur.
Le Serment du Jeu de Paume a eu plusieurs versions ?
Un an après l’événement qui s’est déroulé en juin 1789 à Versailles, David reçoit la commande d’une toile de grande dimension. Il doit immortaliser l’instant solennel où les représentants du peuple jurent de se réunir pour offrir une constitution à la France. Afin de financer cet ambitieux chantier, une souscription est même lancée. Mais les fonds manquent et surtout le contexte politique empêche l’achèvement du projet. L’évolution de la Révolution et la modération de certaines personnalités (tel que Barnave ou Mirabeau) ne permettent pas de faire aboutir le tableau. Le peintre laisse donc inachevée la grande toile et seul un dessin à échelle réduite permet de se rendre compte de la composition qu’il avait envisagée. Il faut attendre 1883 et le tableau de Luc-Olivier Merson pour qu’une version achevée puisse être réalisée : cette œuvre est aujourd’hui visible dans la Salle du Jeu de Paume à Versailles.