Gaza, une crise d’humanité

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Quel état des lieux peut-on dresser de la situation humanitaire à Gaza et en Cisjordanie depuis le début du conflit ?

Aujourd’hui, compte tenu de la situation, on ne parle même plus de crise humanitaire. On parle désormais de crise d’humanité dans la mesure où il y a un ensemble de faisceaux et d’arguments techniques en faveur d’un génocide, comme l’a rappelé Amnesty International dans son rapport sur la situation des droits humains paru en avril 2025.

La quasi-totalité de la population a été déplacée depuis 18 mois et se retrouve dans un contexte de siège qui a remplacé le blocus, en place depuis 17 ans, au lendemain des atrocités du 7 octobre 2023. Gaza est une prison à ciel ouvert où il y avait un contrôle d’entrée de 500 à 600 camions par jour avant le 7 octobre dans le but de répondre aux besoins d’une population sur un territoire qui n’est pas autosuffisant. Le siège consiste non seulement à entraîner des privations par une restriction des passages, mais aussi des destructions massives d’infrastructures essentielles. Depuis 18 mois, le système de santé a également été mis à plat. Des centaines de centres de santé et des dizaines d’hôpitaux ont été détruits. Trente-six d’entre eux étaient opérationnels avant le 7 octobre tandis qu’aujourd’hui seulement une dizaine voire une quinzaine fonctionnent de manière partielle avec beaucoup de ruptures de médicaments, des personnels épuisés ou encore un manque de fuel permettant de faire tourner les groupes électrogènes et d’assurer la production d’électricité.

À ce jour, le bilan s’élève à près de 53 000 morts palestiniens, un chiffre qui ne tient pas compte des personnes restées sous les décombres ou de celles qui meurent par défaut de soins. Ainsi, on assiste à la destruction d’infrastructures essentielles alors que le siège s’est totalement refermé depuis deux mois et qu’il n’y a plus rien qui entre sur le territoire : plus de matériel, plus de camions commerciaux et plus d’aide humanitaire.

Par conséquent, la population se retrouve au bord de la famine à l’échelle du territoire. À ce titre, Médecins du Monde a sorti un rapport montrant une corrélation forte entre des taux de malnutrition explosifs chez les femmes enceintes, allaitantes et chez les enfants âgés de six mois à cinq ans et l’effectivité du siège. Entre juillet 2024 et avril 2025, sur une cohorte de 10 000 enfants et de femmes enceintes et allaitantes pris en charge dans ses activités médicales, Médecins du Monde a suivi les évolutions des critères nutritionnels. En novembre 2024, on approchait les 18 % de malnutrition aiguë (contre 0,8 % en 2023). Par la suite, les taux de malnutrition sont redescendus autour de 2-3 % au moment du cessez-le-feu début 2025. Aujourd’hui, on constate au moins à 20 % de malnutrition sur les populations qui viennent dans les centres de santé de l’organisation. Les civils ont faim et soif.

La malnutrition aiguë entraîne notamment un plus grand risque de mortalité en lien avec des infections, car le système immunitaire est moins capable de protéger, notamment chez les enfants en bas âge. Ainsi, la faim, la soif, la destruction du bâti de pratiquement 80 % des infrastructures et des habitations sont des éléments utilisés comme arme de guerre dans une dynamique d’annihilation d’une population civile prise au piège et enfermée dans cette bande de Gaza. La situation est connue de tous et est d’ailleurs annoncée par les autorités israéliennes de manière formelle qui rappellent leur volonté de réinvestir la bande de Gaza massivement et pour une durée à long terme.

Ce lundi 19 mai, le ministre israélien Benyamin Netanyahou a annoncé la réouverture de l’aide humanitaire à Gaza. Sous quelles conditions, l’humanitaire peut-elle être acheminée dans la bande et comment les acteurs de l’aide se sont-ils préparés face à la réouverture partielle du territoire ?

Benyamin Netanyahou a annoncé qu’il ferait rentrer un peu d’aide dans la bande de Gaza ; non pas pour répondre aux exigences d’humanité dans un contexte de famine qui arrive, mais sous prétexte de « pressions diplomatiques ». On voit bien son mépris pour le droit international humanitaire bafoué depuis 18 mois, voire plus. Pour rappel, près de 400 humanitaires ont été tués ces 18 derniers mois, ainsi que des milliers de civils, l’aide n’a pas pu rentrer de manière proportionnée et les blessés ne peuvent toujours pas être évacués. C’est au moins 100 000 blessés, dont 20 000 qui nécessiteraient d’être pris en charge dans la sous-région.

Cette annonce, faite par Benyamin Netanyahou, de laisser rentrer un peu d’aide est donc symbolique. Il réaffirme les objectifs militaires et politiques du gouvernement israélien qui sont ceux de réoccuper massivement la bande de Gaza. Cette annonce a été faite le 19 mai dernier, imposant aux populations, notamment du centre et du Sud, de se regrouper à l’ouest de la bande de Gaza. Le 19 mai, moins d’une dizaine de camions sont rentrés dans la bande de Gaza et d’ici le 23 mai, environ une centaine de camions par jour devraient y pénétrer par le passage de Kerem Shalom dans des conditions encore peu connues. Les agences des Nations unies sont en première ligne dans les négociations.

Au décours de cette occupation massive et de long terme de la bande à Gaza, les 2 millions de personnes seraient « concentrées » (terme utilisé par les autorités israéliennes) dans le Sud autour de Rafah, or rien n’est prévu pour les accueillir. En outre, il devrait y avoir quatre ou cinq hubs humanitaires, ainsi que des dispositifs logistiques permettant de distribuer de la nourriture grâce à l’entrée de 50 ou 60 camions par jour, par le même passage susmentionné. Tout cela serait orchestré par des sociétés privées de mercenaires états-uniens sous supervision militaire israélienne. La Fondation humanitaire pour Gaza, une fondation américaine qui n’a d’humanitaire que son nom, serait à la manœuvre pour distribuer cette aide. On observe ainsi une privatisation et une militarisation de l’aide en rupture totale avec les principes de la raison humanitaire que sont l’impartialité, l’indépendance, le désintéressement. Cela revient donc à renier toute une culture de l’action humanitaire bordée par le droit international humanitaire, ce qui est absolument scandaleux. Cela met par ailleurs les humanitaires et les Nations unies devant un dilemme, celui de ne pouvoir être les opérateurs de ce qui s’annonce être une déportation massive de 2 millions de personnes, et qui s’apparente, potentiellement, à un crime de guerre.

En plus de la privatisation et de la militarisation de l’aide annoncée par les autorités israéliennes, des annonces de restriction des modalités d’enregistrement des organisations internationales et israéliennes, par exemple en cas de critique de la politique israélienne, viennent d’être faites, ces dernières risquant de ne pas être réenregistrées en Israël. De même, les organisations israéliennes courent le risque d’être interdites d’exercice.

On observe ainsi une restriction de l’espace humanitaire alors même que cela est en rupture avec les valeurs démocratiques auxquelles Israël, mais aussi ses soutiens occidentaux, font référence. On n’assiste pas à une défense des valeurs habituelles de la démocratie à Gaza, mais également en Cisjordanie où depuis début 2025 près de 50 000 personnes ont été expulsées de leur lieu de vie à cause de destructions massives, de sièges de ville comme à Tulkarem et de limitations du travail humanitaire. Il y a un double dynamique d’accélération de la colonisation, à la fois en Cisjordanie et à Gaza.

En quoi cette couverture partielle de la bande de Gaza s’inscrit-elle dans un plan plus large de « conquête territoriale » ? Quelles réactions ce plan et les offensives lancées par Israël ont-ils suscitées au sein de la communauté internationale ?

Les Occidentaux, notamment les États-Unis et l’Europe, mettent en permanence en avant le droit international humanitaire dans la gestion des conflits. Ils l’ont fait de manière très claire et légitime sur le conflit ukrainien, en opposant notamment des sanctions à la Russie, en soutenant la Cour pénale internationale (CPI) qui a rapidement lancé un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine.

En revanche, concernant le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou, rien de tangible n’est fait aujourd’hui.

La Cour internationale de justice avait mis en avant en 2024, à trois reprises, un risque plausible de génocide. Cela impose, en théorie, à tous les États signataires des conventions et des traités de Rome, signés en 1948 au lendemain de la Shoah et prévenant les crimes de masse et crimes contre l’humanité, que le monde ne connaisse pas à nouveau ces horreurs. Tous les pays ayant signé ce traité sont dans l’obligation d’empêcher ce potentiel génocide en cours. De fait, tout cela n’est pas fait et l’on assiste à des changements de ton communicationnels de la part de certains pays comme la France, l’Allemagne, l’Angleterre affirmant que si la situation perdure, ils risqueraient de prendre des mesures objectives. On peut se demander ce qu’il leur faut de plus pour prendre des mesures plus contraignantes contre le gouvernement d’extrême droite israélienne. On pense notamment à la remise en question de l’accord de partenariat entre l’Europe et l’État d’Israël, à l’arrêt d’envoi d’armes dans la région, ce que continue à faire l’Allemagne, l’Angleterre et les États-Unis. Pour la France, cela signifierait par exemple de ne pas laisser passer l’avion du Premier ministre israélien sur son territoire, alors même qu’il est poursuivi par la CPI et que la France a pour obligation de l’arrêter.

Du côté de la Russie, de la Chine et de certains pays du monde arabe, il n’y a pas beaucoup d’attentes à avoir au regard de la nature de ces régimes politiques, mais du côté des Occidentaux, le deux poids deux mesures dans le respect du droit international humanitaire l’affaiblit et en fait un outil de domination plus qu’un outil de justice.