Que cherche Elon Musk, selon vous, en s’ingérant dans le débat européen ?
Elon Musk a l’air tout aussi imprévisible que son compère Trump. Il a développé des entreprises qui dépendent beaucoup de la demande publique, notamment dans le domaine de l’espace et des communications. Il a certainement besoin d’avoir des relais et des alliés au sein des gouvernements européens en ce sens, à travers une démarche idéologique marquée.
Néanmoins, un chef d’entreprise qui suivrait rationnellement les intérêts de son entreprise ne se comporterait pas ainsi. Les républicains ne resteront pas au pouvoir pour les cent prochaines années ; en Europe, de nombreux gouvernements ne sont pas d’extrême droite. Il donne l’impression de jouer au poker et ce d’autant plus que ses entreprises liées à l’espace ou à la voiture électrique généreront du profit sur le long terme.
L’Europe vous semble-t-elle armée pour faire face à ces attaques ?
En tant qu’Européen, je me sens quasiment humilié par le silence des autorités européennes face aux innombrables attaques, non seulement d’Elon Musk mais également de Trump, lorsqu’il parle de racheter ou de prendre possession du Groenland, qui est un territoire autonome lié à un pays de l’Union européenne (le Danemark – NDLR). Les Européens sont encore tétanisés.
Ils espèrent que Donald Trump puisse être clément et ne veulent pas le provoquer. C’est une grossière erreur car le président élu ne respecte que le rapport de force. Se souvenir que l’ancien chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, et la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, parlaient d’une Europe qui devait apprendre le langage de la force peut aujourd’hui prêter à sourire.
L’Europe a-t-elle raté le coche en matière d’autonomie stratégique ?
Pour se faire un avis, il suffit de lire le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité. L’Europe a raté la révolution Internet entre les années 1990 et le début de la décennie 2000. Elle n’a pas été en mesure de développer ses propres instruments dans un domaine où il faut une taille importante pour être compétitif. On risque aujourd’hui de rater le train de l’IA (intelligence artificielle) pour la même raison. Les Italiens craignent que Français et Allemands ne se répartissent le gâteau et qu’Iris2 se résume à un projet franco-allemand plutôt que véritablement européen. À titre d’exemple, le cloud (l’informatique virtuelle – NDLR) requiert des investissements considérables et des projections sur le long terme. En la matière, le niveau national n’est pas pertinent. La France a sa petite entreprise, Mistral, qui opère dans le domaine de l’intelligence artificielle, les Allemands n’en veulent pas, ils développent donc leur propre entreprise. Les Italiens font de même. Chacun veut son petit champion en espérant l’imposer aux autres sans que l’on puisse atteindre la masse critique pour faire face aux coûts des investissements. Il faut des acteurs purement européens. C’est ce que le capital ne comprend pas. C’est la même chose dans le domaine de la défense.
L’adoption éventuelle par le gouvernement italien d’un système de communication par satellite Starlink serait-elle un aveu d’échec de la puissance publique ?
L’Europe s’est dotée du projet Iris2 qui doit pouvoir concurrencer le service Starlink d’Elon Musk, mais il ne sera pas actif avant 2030. L’Italie souhaiterait signer un contrat de cinq ans avec SpaceX : on peut imaginer qu’elle souhaite couvrir le laps de temps dans lequel aucune alternative aussi compétitive que celle d’Elon Musk n’existera. Ceci dit, Iris2 n’est pas sans poser de problèmes : la répartition industrielle entre les différents acteurs européens dans le développement de ce programme demeure floue.
Les Italiens craignent que Français et Allemands ne se répartissent le gâteau et qu’Iris2 se résume à un projet franco-allemand plutôt que véritablement européen. Ils ont donc la tentation de se tourner vers les Anglo-saxons, sans doute dans l’optique de négocier leur position dans l’Iris. Cela s’est déjà produit avec l’A400M, l’avion de transport stratégique développé par les Européens.
L’Italie avait quitté le projet considérant que les entreprises françaises et allemandes étaient trop favorisées, malgré leur participation au financement. Rome s’était alors tourné vers le C-130 américain. Depuis lors, l’industrie de défense italienne est très liée à l’industrie anglo-saxonne. C’est pourquoi les Italiens sont favorables à ce que les programmes de financement de l’Union européenne pour la défense puissent comprendre des entreprises extra-européennes. Quitte à jouer un rôle de deuxième plan, les Italiens privilégient l’industrie la plus puissante.
Propos recueillis par Lina Sankari pour l’Humanité.