• Brahim Oumansour

    Chercheur associé à l’IRIS, directeur de l’Observatoire du Maghreb

Pourquoi ces deux condamnations coup sur coup ? Peut-on y voir un simple enchaînement judiciaire, ou un message politique adressé à la France ?

Difficile de croire à une pure coïncidence. Ces décisions judiciaires, très proches dans le temps, peuvent être lues comme un message politique d’Alger. C’est une manière de dire : « On ne cède pas à la pression. » Mais il ne faut pas exclure non plus une ouverture : malgré la lourdeur de la peine contre Boualem Sansal, une libération reste envisageable. Elle pourrait prendre la forme d’une grâce présidentielle autour du 5 juillet, jour de la fête de l’indépendance. Ce serait un geste politique fort, ou même humanitaire, compte tenu de son âge et de son état de santé.

Cette éventualité d’une grâce présidentielle vous semble-t-elle réaliste ?

Oui, je pense que c’est possible. On a vu, côté algérien, plusieurs appels du président Tebboune à calmer le jeu avec la France. Les échanges verbaux, les discours tendus des deux côtés se sont un peu apaisés ces dernières semaines. Mais attention : accorder une grâce pourrait aussi être vu comme une faiblesse par une partie de l’opinion publique algérienne. Et dans un climat politique interne déjà marqué par un durcissement envers les opposants ou les militants, c’est un vrai risque. Alors, oui, la grâce est envisageable, mais elle n’a rien d’évident.

Quelles sont les causes profondes de la brouille entre la France et l’Algérie ?

La vraie cassure, c’est le revirement de la France sur le dossier du Sahara occidental. Quand Emmanuel Macron a semblé soutenir la position marocaine, ça a été vécu comme une trahison à Alger. Résultat : rappel de l’ambassadeur, gel de plusieurs coopérations. Et aujourd’hui encore, cet ambassadeur n’a pas été remplacé. Mais en réalité, les tensions sont plus anciennes. Même pendant les périodes dites de réchauffement, les relations restaient instables. Les gestes mémoriels de Macron ont eu un impact symbolique, mais ils n’ont pas suffi à construire une confiance durable.

C’est un peu toujours la même histoire entre les deux pays ? Un pas en avant, deux en arrière ?

Exactement. Il y a eu des hauts et des bas, des visites annulées, des ambassadeurs rappelés, des déclarations mal reçues… La relation est compliquée, et elle l’a toujours été. Aujourd’hui, on est sans doute dans l’une des phases les plus tendues, mais les deux capitales savent aussi qu’elles ont besoin l’une de l’autre. Et c’est cette interdépendance qui empêche, pour l’instant, une rupture totale.

Comment se manifeste cette interdépendance ?

Par des liens humains d’abord : des millions de Français ont un lien familial, affectif ou culturel avec l’Algérie. Mais aussi économiques : environ 600 entreprises françaises y sont implantées. Et puis il y a la sécurité. La coopération entre les deux pays est cruciale dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, ou face à l’instabilité au Proche-Orient. Bref, les enjeux dépassent de loin la simple querelle diplomatique. C’est aussi ce qui fait espérer, à moyen terme, un retour au dialogue, même si pour l’instant, les signaux en ce sens restent très faibles.

Si la grâce n’était pas accordée, quelles pourraient être les conséquences ?

Ce serait clairement un nouveau coup dur. Les tensions risqueraient de repartir de plus belle. L’affaire Boualem Sansal pourrait devenir un symbole de blocage entre les deux pays. Tout dépendra de ce que veut faire Alger : continuer à marquer sa fermeté ou choisir un geste d’apaisement. Pour le moment, rien n’est écrit.

Propos recueillis par Philippe Salvador pour La Dépêche.