• Romuald Sciora

    Chercheur associé à l’IRIS, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis

Charlie Kirk était l’égérie de l’extrême droite américaine. Je n’aime pas trop dire de mal de quelqu’un qui vient d’être assassiné, mais c’était vraiment un activiste de la droite la plus radicale, quelqu’un qui est évidemment contre l’avortement, qui militait pour que les jeunes femmes n’aient pas accès à la pilule. Il avait été l’un des organisateurs des bus remplis de militants qui avaient attaqué le Congrès en janvier 2021. Bref, il était un partisan de Trump et vraiment, l’une des voix de la nation MAGA [Make America Great Again].

Il était surtout idolâtré par une multitude de jeunes hommes américains adeptes de la nouvelle masculinité, qui est aujourd’hui très en vogue aux États-Unis. Et surtout, il était très apprécié par le président américain.

Charlie Kirk n’était pas si connu que cela aux États-Unis. Il était en effet l’icône d’une certaine jeunesse américaine. Mais si vous interrogiez des gens dans la rue à New York, tout le monde ne le connaissait pas. Il fallait être républicain, il fallait être pro-MAGA et il fallait surtout suivre les différents mouvements activistes liés à l’extrême droite américaine. C’était une personne connue, mais il ne s’agit pas d’une super célébrité comme on peut en avoir aux États-Unis.

Trump se sert malheureusement de ce décès, car évidemment, cela va être utile pour sa cause. Et ce qui aujourd’hui fait peur quand on voit que les drapeaux américains vont être en berne pour un jeune activiste qui a été assassiné. Et c’est malheureux, c’est une tragédie. Mais les drapeaux ne sont pas en berne quand des jeunes enfants sont assassinés dans des écoles ou ce genre de choses. Donald Trump saute sur l’occasion.

N’oublions pas que nous sommes dans la show nation que Trump est le showrunner, qu’il est un maître en communication et qu’il va se servir de cela pour démontrer que l’Amérique est assiégée, que la violence est à tous les coins de rue et que oui, il a bien raison d’envoyer la garde nationale à Washington, à Los Angeles et prochainement à Chicago, New York et New Orleans. Ça va être un instrument à sa propagande. Et  je crains également, qu’une réaction très forte de l’administration Trump-Vance suive ce meurtre.

Une fois encore, les démocrates sont d’une bêtise sans pareille. Ils ont tout à fait raison de condamner ce meurtre odieux. Personne ne mérite d’être assassiné comme ce pauvre garçon l’a été, bien évidemment. Mais de là à faire des discours comme Joe Biden et Kamala Harris l’ont déjà fait en disant « L’Amérique est sous la violence. Nous devons lutter contre cette violence », utiliser aujourd’hui la même rhétorique que Trump alors qu’ils sont totalement muets depuis six mois, alors que la démocratie américaine est attaquée de toutes parts par l’administration actuelle, c’est vraiment aller dans le sens de la présidence. C’est une erreur stratégique.

Je crains effectivement que Trump en profite pour aller encore plus loin. Depuis six mois, comme vous le savez, les États-Unis voient se mettre en place un régime semi-autoritaire : prérogatives du Congrès rognées au profit de la Maison-Blanche, la justice entre les mains du président, la Cour suprême qui valide la plupart des décisions de Trump depuis quelques mois, aucun juge fédéral ne peut s’opposer au niveau national à une décision présidentielle, une première historique dans l’histoire américaine, et j’en passe et j’en passe. Donc il est clair que cette administration peut se servir de ce qui vient de se passer pour aller plus loin.

Pour déployer la Garde nationale dans plus de villes. Pour envisager certaines restrictions de certaines associations, de certains groupes, de certains mouvements démocrates, de gauchistes dits antisémites, pro-palestiniens, ce que vous voulez. Peut-être moins de liberté associative dans certaines universités.

Comme vous le savez quand même, de nombreux départements, aujourd’hui dans la plupart des universités américaines, sont sous tutelle. Je ne parle même pas du fait qu’il soit aujourd’hui interdit d’enseigner certaines matières, comme la théorie du genre, la théorie critique de la race à Columbia University, comme dans la plupart des universités américaines. Mais on pourrait voir effectivement une répression très forte à l’encontre d’une certaine liberté d’expression. Dans tous les cas de figure, il est trop tôt pour savoir à cette heure-ci comment cette répression pourrait se dérouler. Mais quelque chose va se passer.

Les États-Unis sont quand même un pays ultraviolent. Le port d’arme est libre et nous sommes dans un pays qui s’est construit sur la guerre, sur le combat, sur le génocide amérindien, donc rien d’étonnant. Non, ce qui est vraiment triste aujourd’hui, c’est que, comme pour Donald Trump, c’est l’acte de terroristes, probablement de gauche, et cela va donc évidemment desservir la cause des démocrates et la cause de ceux qui luttent pour la liberté d’expression.