Accord sur le nucléaire iranien : vers une réactivation des sanctions contre Téhéran ?

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Le 28 août 2025, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont officiellement informé le Conseil de sécurité des Nations unies de leur volonté de rétablir les sanctions occidentales contre l’Iran, dans le cadre du mécanisme de snapback prévu par l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA). Cet accord, signé en juillet 2015 par les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie), l’Allemagne, l’Union européenne et l’Iran, vise à contrôler le développement du programme nucléaire iranien en échange d’une levée des sanctions bilatérales et multilatérales à l’égard de l’Iran. L’activation du snapback aboutirait à un rétablissement sous 30 jours des sanctions des Nations unies si aucune solution ne parvient à être trouvée pour repousser ce délai. Dans quel contexte s’inscrit cette initiative européenne ? Quelles réactions a-t-elle suscitées du côté iranien ? Quelles perspectives laisse-t-elle entrevoir quant à l’avenir des relations entre l’Iran et l’Occident ? Le point avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran.

Dans quel contexte géopolitique la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont-ils activé ce mécanisme de snapback ?

Sur le plan légal, le mois de septembre représentait la dernière chance des pays européens de lancer cette procédure de snapback, puisque l’accord sur le nucléaire, signé en juillet 2015 prend fin officiellement en octobre 2025.

Le contexte géopolitique est assez spécifique car des négociations avaient été engagées entre l’Iran et les États-Unis au sujet du nucléaire iranien. Cinq séances de négociations avaient déjà eu lieu, mais avant la tenue de la sixième, Israël a lancé une attaque poursuivant deux objectifs : la destruction des installations nucléaires iraniennes et une volonté de provoquer un changement de régime en Iran.

Du côté iranien, ce conflit a suscité deux ressentis majeurs. D’une part, un sentiment de trahison vis-à-vis des États-Unis, qui, tout en participant activement aux négociations, auraient selon Téhéran validé, voire coopéré avec Israël dans l’attaque menée en juin dernier. D’autre part, un sentiment de colère vis-à-vis de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui avait selon Téhéran « préparé » le terrain de cette attaque israélienne dans son dernier rapport, par son manque de neutralité. Cette conjoncture a abouti au vote d’une loi au sein du parlement iranien suspendant sa coopération avec l’agence (suspension ayant officiellement démarré le 2 juillet 2025).

Néanmoins, il y avait tout de même une conscience de la nécessité d’une reprise des négociations entre l’Iran et les États-Unis, car elles représentent le seul moyen de régler cette affaire pacifiquement et d’éviter un nouveau conflit avec Israël. C’est dans ce contexte que les Européens sont intervenus. Depuis le début des négociations entre les États-Unis et l’Iran, l’Europe restait un peu en dehors du jeu, et cette procédure de snapback, telle une dernière carte, apparait comme une manière d’exercer une pression sur l’Iran pour forcer le pays à négocier avec les États-Unis.

Pour parvenir à une suspension de 6 mois de cette procédure de snapback, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont demandé trois choses à l’Iran : premièrement, de reprendre les négociations avec les États-Unis ; deuxièmement, de reprendre contact avec l’AIEA et en particulier de leur permettre de venir contrôler sur site le programme nucléaire iranien ; troisièmement, de donner des éléments précis sur la localisation du stock d’uranium enrichi à 60 %, qui est près de 400 kilos et qui permettrait éventuellement à l’Iran de fabriquer des bombes atomiques.

Légalement, dans un mois maintenant, les sanctions seront appliquées, si aucun accord n’est trouvé pour suspendre cette procédure auparavant. Les pays ont donc un mois pour négocier. Si l’Iran répond à ces trois conditions, les sanctions onusiennes seront reportées de quelques mois. Un scénario positif dans ce cas serait que ce délai permette la conclusion d’un nouvel accord entre l’Iran et les États-Unis. Dans ce cas-là, une résolution pourrait être présentée au Conseil de sécurité des Nations unies et annulerait définitivement la réinstallation de ces sanctions.

Le recours au snapback peut être perçu pour l’instant comme un moyen de pression sur l’Iran pour l’amener à négocier, les Européens n’étant sûrement eux-mêmes pas convaincus qu’il faille réinstaller les sanctions onusiennes.

Comment cette décision a-t-elle été reçue par Téhéran ainsi que par la population iranienne ? Quelles pourraient être les conséquences sur l’Iran et plus largement l’équilibre au Proche-Orient de cette reprise des sanctions ?

Une fois encore, un fort sentiment de colère prévaut du côté des autorités iraniennes, ces derniers considérant que les Européens ne sont pas légitimes à utiliser leur recours à ce mécanisme.

Ce manque de légitimité vient du fait que le snapback, rappelons-le, permet de réimposer des sanctions au terme de l’accord de 2015 si l’Iran n’en avait pas respecté ses termes. Or, les premiers membres à ne pas avoir respecté l’accord, après les États-Unis, sont d’abord les Européens. L’Iran respectait cet accord et les États-Unis en sont sortis en mai 2018 et ont réimposé de manière unilatérale toutes les sanctions américaines. Face au caractère extraterritorial de celles-ci, les Européens n’ont absolument rien fait. Plus encore, ils ont mis fin à leurs relations économiques avec l’Iran et ont arrêté d’acheter du pétrole iranien. On pourrait dire qu’ils n’avaient pas le choix, mais factuellement, ils n’ont ainsi eux-mêmes pas respecté l’accord de 2015.

L’autre élément crucial pour les Iraniens est que les Européens n’ont pas condamné l’attaque israélienne contre les installations nucléaires iraniennes et même approuvé si l’on se réfère à certaines déclarations, qui était pourtant en violation totale avec l’accord de 2015. Alors que l’attaque israélienne visait à détruire les usines d’enrichissement d’uranium de l’Iran, l’accord de 2015 avait pourtant donné à l’Iran le droit d’enrichir son uranium.

Ainsi, si le recours européen au snapback est légalement inscrit dans l’accord, les Iraniens remettent la légitimité de son usage en question. En réaction, Téhéran a évoqué la possibilité de se retirer du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), bien que cette option ne semble constituer qu’un ultime recours, envisagé uniquement en cas d’échec des négociations pour régler cette crise. La négociation reste donc privilégiée par les dirigeants iraniens pour sortir de cette crise. 

De son côté, la population iranienne est très inquiète, notamment en ce qui concerne l’activité économique du pays qui est presque à l’arrêt. La monnaie iranienne s’est encore dévaluée par rapport au dollar dans les jours suivants la déclaration européenne (le dollar passant au-dessus la limite symbolique de 100 000 toumans). Le pays fait également face à des pénuries d’eau et d’électricité. Enfin, il persiste une grande incertitude vis-à-vis de la précarité dans laquelle se trouve le cessez-le-feu avec Israël : personne ne sait si la guerre va reprendre. Si à tous ces éléments s’ajoutent les sanctions des Nations unies, la situation continuera de se dégrader, une possibilité instaurant ainsi une inquiétude généralisée.

Quels scénarios peuvent être envisagés quant à l’évolution de la relation entre l’Iran et les pays européens, et plus largement le monde occidental ?

Il est nécessaire de préciser que pour l’Iran, l’impact des sanctions des Nations unies sera davantage de nature politique qu’économique. Économiquement, ces sanctions donneront droit à tout pays membre des Nations unies de contrôler les cargaisons en direction de l’Iran sous réserve de toute suspicion de lien de ces dernières avec le programme balistique et le programme nucléaire iranien. Mais surtout, les sanctions onusiennes auront pour effet d’isoler l’Iran sur la scène internationale, plaçant le pays au « banc des nations » vis-à-vis du droit international. Une crainte s’élève alors concernant l’éventuelle légitimation d’une nouvelle attaque israélienne que ce contexte pourrait permettre.

Si ces sanctions sont appliquées, elles rendraient extrêmement compliquée la reprise de relations normales sur le plan politique et économique entre l’Europe et l’Iran. La situation risquerait de favoriser un nouveau rapprochement avec la Russie, mais aussi surtout avec la Chine, pays avec lequel l’Iran espère maintenir ses exportations de pétrole.

Concernant les États-Unis, il est évident que tout ce dossier tourne autour de la relation entre Téhéran et Washington. Les relations seront sans doute très dégradées, et dans un scénario catastrophique, l’Iran se retirerait du traité de non-prolifération. Même si la situation s’aggrave avec le temps, pour éviter d’en arriver à un stade de guerre, il apparaît indispensable que les États-Unis parviennent à négocier avec Téhéran. En Iran, la récente nomination d’Ali Larijani en tant que secrétaire général du Conseil supérieur de la sécurité nationale pourrait peut-être jouer un rôle favorable pour une telle issue, celui-ci ayant déjà été impliqué directement dans les négociations sur le nucléaire iranien dans les années 2000. Il reste donc un mois pour que la diplomatie joue son rôle.