En Ukraine, Trump a tort et les Européens aussi

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  • Federico Santopinto

    Federico Santopinto

    Directeur de recherche à l’IRIS, responsable du Programme Europe, Stratégie et Sécurité

L’approche diplomatique de l’administration Trump face à la guerre en Ukraine n’en demeure pas moins inacceptable. Avant d’échanger avec ceux qui devraient être leurs ennemis, c’est-à-dire les Russes, les Américains auraient dû consulter ceux qui devraient être leurs amis, c’est-à-dire les Européens. L’administration Trump a fait l’exact contraire : elle s’est montrée complaisante vis-à-vis des premiers et méprisante vis-à-vis des seconds, qu’elle n’a bien évidemment pas informés ni conviés au premier round des pourparlers qui se sont tenus à Ryad. La Maison-Blanche a en outre annoncé des concessions avant même que les négociations ne commencent et, chose plus grave encore, elle s’est montrée disposée à reconnaître de fait l’annexion illégale des territoires ukrainiens conquis par l’armée russe. L’objectif de toute négociation avec Moscou, pourtant, devrait viser plus simplement une trêve et un gel du conflit, tout en fournissant à l’Ukraine les garanties sécuritaires nécessaires pour dissuader la Russie de lancer une nouvelle offensive. Au lieu de cela les États-Unis confondent l’agresseur avec l’agressé, et s’apprêtent à rétablir des relations économiques saines avec le premier tout en espérant piller les ressources naturelles du second.

Face à une telle attitude de la part de leur allié, les Européens ont de bonnes raisons d’être dépités. Mais leur passivité, comme celle de Joe Biden d’ailleurs, est tout aussi déconcertante que le comportement de Donald Trump. Durant ces derniers mois de guerre, quelle alternative ont-ils proposé pour sortir de la crise ? Quelles initiatives ont-ils prises pour faire cesser des combats meurtriers, qui aggravent de jour en jour la position de l’Ukraine ? Une analyse réaliste et courageuse de la tragédie ukrainienne aurait dû pousser les Européens à admettre que les options pour sortir de l’impasse n’étaient qu’au nombre de deux : s’engager davantage dans le conflit dans l’espoir que les Ukrainiens réussissent à reconquérir une partie de leur territoire, ou bien ouvrir un canal de négociation avec la Russie. Les Européens auraient pu choisir la première ou la deuxième option. Ils auraient même pu choisir ces deux options parallèlement, puisque l’une n’exclut pas l’autre. Mais en ne choisissant aucune d’entre elles, ils se sont montrés inconsistants : ils n’ont pas voulu faire le nécessaire pour que les Ukrainiens aient au moins une chance de gagner, et ils n’ont pas poussé Volodymyr Zelensky à chercher une issue négociée à la crise, comme si le conflit devait perdurer ad vitae aeternam.

La passivité de cette posture a de quoi surprendre. Elle est à la limite de l’absurdité, à moins que les Européens n’aient attendu en réalité que quelqu’un d’autre, au-delà de l’Atlantique, ne prenne une décision à leur place. Joe Biden ne l’a pas fait et c’est donc Donald Trump qui est entré dans l’équation, à sa manière. S’offusquer de ses intentions douteuses maintenant, après trois années de guerre et d’inaction diplomatique, ne sert plus à grand-chose.

Pour être associés aux négociations, les Européens auraient dû se présenter au rendez-vous à l’heure, en apportant quelque chose de tangible à mettre sur la table. Ils sont arrivés tard et avec les mains vides, et ils ont trouvé la porte fermée. Leur difficulté à agir au moment opportun sur la scène internationale n’est pas conjoncturelle et propre au dossier ukrainien. Elle est structurelle. Cela fait désormais plus de deux décennies que les Européens gesticulent en vain dans l’espoir de construire, dans le cadre de l’Union européenne (UE), une défense commune crédible et autonome. Vingt-six ans plus tard, ils demeurent incapables d’offrir aux Ukrainiens les garanties sécuritaires dont tout le continent aurait besoin. Leurs moyens restent

limités et, surtout, leur unité politique demeure précaire. Dans ces conditions, ils ne peuvent être suffisamment crédibles pour dissuader la Russie seuls, sans les États-Unis.

En 1999, les pays de l’UE s’étaient pourtant engagés, dans le cadre de leur naissante politique de défense commune, à créer une force multinationale de 60 000 personnes pour faire face aux crises dans leur voisinage. Les guerres balkaniques venaient de se terminer et les Européens n’avaient pas été capables de les résoudre sans l’aide des Américains. Ces derniers n’avaient guère apprécié le fait de devoir intervenir en ex-Yougoslavie, à quelques dizaines de kilomètres de leurs alliés, dans un théâtre de crise devenu marginal pour eux. La politique de défense commune lancée par l’UE devait justement pallier cet inconvénient. Soucieux de préserver l’illusion de leur souveraineté nationale, les pays de l’Union n’ont toutefois pas été capables de concrétiser leurs promesses. Aujourd’hui, pourtant, c’est bien de cette force multinationale de 60 000 personnes dont ils auraient besoin en Ukraine pour renouer avec les réalités de la souveraineté.

Après tant d’années de tergiversations et d’échecs, les Européens évoquent désormais une nouvelle idée : celle d’européaniser l’OTAN. Renforcer leur rôle au sein de l’Alliance est un objectif louable et indispensable à court terme. Mais à plus long terme, il pourrait ne pas suffire. Au fil du temps, les fières et « souveraines » nations du vieux continent sauront-elles rester unies sans la présence hégémonique des États-Unis en surplomb ? Ce n’est pas ce que l’Histoire nous enseigne. S’ils veulent redevenir maîtres de leur destin, les Européens devront tôt ou tard reprendre en main leur projet politique d’intégration, en commençant par le secteur de la défense.  


Cet article a été publié par La Libre.