Emmanuel Macron en Chine : quelles marges de manœuvre la France possède-t-elle face au géant chinois ?

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  • Emmanuel Lincot

    Emmanuel Lincot

    Directeur de recherche à l’IRIS, co-responsable du Programme Asie-Pacifique

À l’aune de cette visite présidentielle en Chine, comment qualifier les relations franco-chinoises ? Quelle place tient la France pour la Chine ?

Les Chinois ont beau dire qu’avec la France il existe une relation particulière, qu’elle a été le premier État à reconnaître la République populaire de Chine (ce qui historiquement est faux), dans les faits, depuis l’année dernière, la France a essuyé un camouflet et non des moindres lorsque Xi Jinping s’est rendu successivement en France pour deux jours de visite d’État (dont un dans des conditions climatiques désastreuses se déroulant dans les Pyrénées) contre trois dans les Balkans (Serbie et Hongrie). Xi Jinping a ainsi clairement donné sa priorité à une Europe orientale qui lui est davantage acquise comme elle est l’est vis-à-vis de la Russie. Structurellement, le déclin français (3000 milliards d’euros de dettes et un déficit commercial de plus de 40 milliards d’euros avec la seule Chine) conforte le régime et une grande partie de l’opinion chinoise dans la dépréciation selon laquelle la France est un pays « romantique », comprenons « has been », politiquement inefficace, à risque pour les ressortissants chinois, et économiquement médiocre. Sur le plan international, la voix de la France porte peu. L’obstination d’Emmanuel Macron à vouloir faire plier Xi Jinping dans son soutien à Moscou et l’indifférence non moins obstinée du chef de l’État chinois aux suppliques françaises en est l’une des plus parfaites illustrations. Le logiciel français parait périmé. 

Quel bilan peut-on dresser des efforts de rééquilibrage des échanges entre la France et la Chine, point central de la visite présidentielle ?

Emmanuel Macron aura fait de toutes petites avancées : que ce soit dans le domaine de l’agroalimentaire, la renégociation des exportations du cognac ou encore celui de la culture avec la velléité de revenir à 2 millions de touristes chinois dans l’Hexagone comme en 2019. On peut d’ailleurs en douter étant donnée la baisse drastique de la consommation en Chine et au fait que nous ne sommes plus dans un monde ouvert. Les prix comme la durée de l’aérien Chine / Europe ont considérablement augmenté sans oublier le fait qu’à l’exception d’Air China, aucun appareil ne peut survoler la Russie. Mais est-ce que la création d’opportunités pour les industries culturelles françaises sur le marché chinois a été seulement évoquée ? Est-ce que la francophonie comme outil d’influence et potentiel économique a été pensée ? J’en doute. Au reste, la France, seule, ne peut rien. Elle doit s’appuyer sur des coalitions intra ou extra européennes. Notamment dans un domaine crucial : le transfert de technologies. Si la Chine s’y refuse, il faudra être prêt à prendre des mesures radicales : surtaxation des produits chinois et pressions en mer de Chine, avec le soutien de Tokyo et de Séoul.

À propos de Taïwan, la France peut-elle maintenir une position d’ « autonomie stratégique » sans provoquer Pékin, tout en restant crédible auprès de ses partenaires démocratiques en Asie-Pacifique ? Alors que la situation autour de l’île se tend de plus en plus, quels seraient les possibles scénarios de réaction française face à une invasion de l’archipel ?

La France est prise au piège de ses propres contradictions. D’un point de vue du droit international, n’ayant reconnu que le principe d’une seule Chine – Pékin –, elle ne peut soutenir aussi ouvertement Taïwan comme elle pourrait l’espérer. Maintenant, l’agressivité de Pékin menace aussi Paris et ses intérêts, c’est-à-dire ses outremers. Le risque est de voir Pékin remettre en question la liberté de circulation des hommes et des marchandises dans des zones maritimes que la Chine cherche à sanctuariser. Ceci est contraire au droit maritime international et dangereux par rapport aux intérêts stratégiques des pays concernés, le nôtre tout particulièrement. L’évolution de la question de Taïwan nous importe comme il nous importe de continuer à faire entendre notre avis sur la question des droits de l’Homme. La diplomatie française n’en fait pas grand cas alors qu’il s’agit à la fois d’une spécificité française et européenne visant systématiquement à rappeler les règles du droit. À l’heure où même les États-Unis s’en détournent, il est important de nous manifester à ce sujet au risque de nous renier bien sûr. Le monde aime la France en tant que patrie des droits de l’Homme. Si nous les défendons haut et fort en soutenant l’Ukraine nous ne pouvons-nous taire sous peine d’incohérence au sujet de Taïwan, non plus qu’au sujet des persécutions qui ont lieu partout en Chine. Enfin, on l’aura compris, une crise majeure autour de Taïwan entraînerait des conséquences dramatiques pour l’économie mondiale : 80 % des microprocesseurs étant fabriqués à Taïwan ou sous licence taïwanaise, l’impact pour la France serait également désastreux. Si une solution militaire et dissuasive n’est guère envisageable pour la France, on voit mal toutefois comment elle pourrait se soustraire à ses obligations que ce soit par rapport à l’Indo-Pacifique ou vis-à-vis des États-Unis pour le cas où Washington déciderait de s’engager dans un conflit naissant entre les deux Chine.