Des fusillades au sentiment d’abandon : la santé comme point de rupture

4 min. de lecture

Ce ressentiment, loin de s’atténuer, pourrait bien s’exacerber. Dès janvier 2025, Donald Trump a relancé sans détour l’agenda de son premier mandat ; déréglementation, désengagement fédéral, responsabilisation individuelle, logique de marché.

  • Les subventions fédérales à l’Affordable Care Act n’ont pas été reconduites, entraînant des hausses de primes et une perte de couverture pour des millions de foyers.
  • Les polices d’assurance santé « low cost », peu protectrices, ont été réintroduites.
  • Des restrictions d’éligibilité à Medicaid ont été votées dans le budget 2025, avec des exigences de travail et des contrôles renforcés, mettant en péril la couverture de 10 à 11 millions d’Américains.
  • Des cliniques communautaires ont perdu leurs financements, en particulier celles qui soignent des populations sans papiers.

Ces mesures ne sont pas anecdotiques. Elles incarnent une vision idéologique claire : la santé n’est plus pensée comme un droit universel, mais comme un service conditionnel que l’on mérite, que l’on achète, que l’on peut perdre.

Sous couvert de liberté de choix, c’est une logique de marché brut qui s’impose : à chacun de se débrouiller, dans un système déjà parmi les plus inégalitaires du monde industrialisé.

Dans ce contexte, les tragédies évoquées ne sont pas de simples faits divers : elles deviennent les points d’orgue d’un mal-être social profond, trop longtemps ignoré, de plus en plus visible.

Dans les deux cas, ce sont des actes de rupture, tragiques et condamnables, mais porteurs d’un message : celui d’individus convaincus que leurs souffrances n’ont pas été entendues, que les structures censées soigner ou protéger aient au contraire ignoré, nié, ou marchandisé leur santé. Ces gestes désespérés, isolés, ne sont pas politiques au sens traditionnel du terme, mais ils traduisent un ressentiment politique profond : celui d’être devenu invisible dans un système qui ne reconnaît plus la souffrance comme une priorité collective.

En miroir, la France regarde ces scènes avec effroi, comme si elles appartenaient à une autre planète. Et pourtant…

Bien sûr, la violence n’y est pas de la même nature. Mais le ressenti d’abandon, lui, s’y reflète de plus en plus. Soignants épuisés, déserts médicaux en expansion, urgences saturées, agressions sur soignants, maternités fermées, délais indécents pour un rendez-vous spécialisé…

La détérioration de notre système de santé publique engendre elle aussi une perte de confiance, un glissement dangereux : celui d’un système pensé pour le soin universel qui devient, peu à peu, un service contingent, aléatoire, parfois inatteignable.

Quand les patients deviennent des coûts, quand les maladies mentales ne trouvent plus d’oreilles ni de temps, quand le soin devient un service marchant, alors naît ce sentiment d’injustice, véritable poudrière.

La violence de l’abandon ne se dit pas toujours avec des armes. Elle peut être silencieuse. Insidieuse. Elle se loge dans les chiffres : dans les retards de diagnostic, les morts évitables, les souffrances mentales étouffées. Elle s’installe dans la perte de sens, chez les professionnels comme chez les patients.

Et un jour, elle déborde.

Aux États-Unis, elle a pris la forme de deux meurtres qui sont aussi des accusations. Chez nous, elle alimente une fatigue démocratique, une défiance envers les institutions, un repli sur soi ou vers le privé. Les effets sont différents, mais la cause est semblable : une société qui ne prend plus soin de l’humain que nous sommes.

Aux États-Unis, la colère se concentre sur l’assurance privée. En France, elle ronge de l’intérieur un modèle public que nous pensions résilient et pérenne. Dans les deux cas, le système de santé ne remplit plus sa promesse fondamentale : celle de protéger.

Ces événements sont le symptôme d’un déséquilibre plus large. Ils traduisent les conséquences sociales et humaines d’un effondrement lent de l’attention collective portée à la santé.

Ils nous rappellent que la santé est politique. Qu’elle n’est pas seulement une affaire de techniques ou de budgets, mais un contrat social, un rapport à la dignité, à l’écoute, à la reconnaissance. Ce qui se fissure aux États-Unis ne doit pas devenir le miroir de ce qui s’effondre, à bas bruit, chez nous.

Refonder la confiance dans le soin exige de repolitiser la santé. D’en faire un enjeu collectif, pas seulement budgétaire. D’écouter ce que disent les soignants, mais aussi les patients. D’arrêter de traiter les systèmes de santé comme des coûts à optimiser, et de les considérer enfin comme des structures de stabilité démocratique, des lieux de reconnaissance humaine, des espaces de réparation.

Car une société qui ne soigne plus, devient une société qui vacille.