Alaska, 2025 : vers la fin de la guerre de « 108 ans » ?

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  • Jean-Claude Allard

    Jean-Claude Allard

    Chercheur associé à l’IRIS

Pour Trump, axé sur MAGA (Rendre l’Amérique à nouveau grande), il s’agit de tenir le rôle traditionnel d’arbitre ou suzerain du monde, mais à moindre coût militaire et financier (exemple accord Arménie-Azerbaïdjan ; accord douanier avec l’UE ; contributions de l’Europe à l’OTAN) ; de s’assurer des ressources pour soutenir la croissance et l’économie américaine dans le temps très lointain (visées sur le Groenland, l’Arctique, etc.) ; de tenir la Chine dans la place d’éternel second. Et, dans la réalisation de ces buts stratégiques, la Russie, de par ses immenses ressources potentielles à une place centrale. Au-delà de ses déclarations ou d’un hypothétique prix Nobel, Trump sera donc exigeant dans la forme, fidèle à sa tactique, mais demandeur sur le fond.

Pour Poutine, le discours de Munich de 2007[1] expose clairement ses objectifs politiques et l’énoncé des entraves à leur atteinte. Quinze ans après, en deux temps (2014 ; 2022), ces objectifs politiques se sont traduits par une guerre en Ukraine qui, « canon tonnant », a élargi les deux textes de demandes de décembre 2021[2], présentés avant l’offensive et portant sur des mesures de sécurité entre Russie et OTAN d’une part, États-Unis de l’autre. Ils s’y rajoutent désormais l’annexion d’une partie (délimitation à définir selon Trump) de l’Ukraine et des exigences sur le modèle politique de l’Ukraine même.

  1. Celui sur les objectifs du discours de Munich de Poutine complété par l’envie de Trump de mettre fin à la guerre de « 108 ans » entre États-Unis et URSS/Russie (octobre 1917 – 2025), qui était déjà espérée en décembre 1989 à Malte[3] lors du sommet Georges Bush – Mikhaïl Gorbatchev et résumée ainsi par Georges Bush : « Il n’y a virtuellement pas de problème au monde, et certainement pas en Europe, qu’une amélioration des relations soviéto-américaines ne contribuerait pas à simplifier [4]». Entre autres raisons, la guerre globale contre le terrorisme de son fils George W Bush, avait enterré cet espoir. Désormais il y a la Chine troisième acteur et non des moindres dans cette équation, Chine qui tient à son « amitié indéfectible avec la Russie » pour assurer ses ressources futures. Il y a aussi la montée en puissance de forces alternatives, lancées justement par le tandem sino-russe (Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) – BRICS). Pour discuter du contenu de ce panier, les États-Unis, ont l’atout de leur puissance militaro-économique et quelques belles manœuvres récentes, par exemple à propos du corridor de Zangezur, mais le monde « non-occidental » rue avec entêtement dans les brancards derrière la Russie depuis Munich (2007). États-Unis et Russie sont donc demandeurs dans ce panier de discussion qui est central.
  2. Celui de la question de l’organisation de la sécurité en Europe, soulevée dans les deux memoranda soumis par la Russie aux États-Unis et à l’OTAN le 17 décembre 2021[5]. Cette question était centrale pour la Russie en 2021. La guerre de conquête militaire russe contre l’Ukraine depuis trois ans a sapé toute la confiance des pays européens dans la solidité d’un accord qui pourrait être trouvé avec la Russie. Pour les États-Unis, la menace russe entretient le besoin d’OTAN et d’armement américain. Côté russe, la démonstration de sa détermination à recourir à la force et la montée en puissance de ses capacités militaires lui font percevoir l’OTAN comme moins menaçant. La question de la sécurité en Europe ne sera pas oubliée, mais est devenue un sujet secondaire pour la Russie, dès lors que les discussions progressent sur le panier précédent et les États-Unis bénéficient du statu-quo.
  3. Celui de la guerre en Ukraine proprement dite. Elle a été la catharsis des passions russo-américaines, mais en trois ans, la situation a évolué : une nouvelle Administration américaine semble vouloir abandonner la stratégie du refoulement de la Russie et porter son effort sur les thèmes du premier panier ci-dessus. Poutine et Trump pourraient se retrouver sur l’idée de mettre fin à cette guerre.
  4. Soit sur la base des exigences de Poutine, à la charge des États-Unis d’expliquer cela à l’Ukraine et à l’Europe ? Le détail sera ensuite longuement discuté dans des commissions incluant l’Ukraine. Des territoires conquis seraient rendus, mais la Russie n’abandonnera pas la centrale nucléaire d’Enerhodar, ni le barrage de Nova Kakhovka, et tentera de contrôler l’approvisionnement en eau du Donbass via le canal Siverski Donets-Donbass (CSDD). Eau et énergie sont vitales pour le Donbass-Crimée. Pour le reste, la ligne de front pourra être ajustée car elle offre à ce jour suffisamment de recul pour protéger la mer d’Azov.
  5. Ceci ne correspond pas aux vues du gouvernement Zelensky qui tentera de mobiliser l’Europe autour de lui, de limiter les concessions, de préserver une capacité politique, économique, militaire de reconstruction et d’obtenir des assurances fermes et tangibles (réassurance militaire) des Européens. Il y a risque qu’il doive continuer à utiliser la force militaire pour se faire entendre.

En attaquant l’Ukraine, Poutine a voulu déstabiliser les certitudes du monde occidental pour faire évoluer l’ordre mondial et ses règles de fonctionnement. L’arrivée de Donald Trump au pouvoir semble faciliter l’atteinte de ses objectifs, mais le doute s’instillait déjà aux États-Unis sur l’intérêt de faire perdurer l’antagonisme américano-russe[6]. La rencontre des présidents russe et américain en Alaska pourra-t-elle relancer la dynamique ébauchée à Malte en 1989 ? Certes, elle pourrait laisser un lourd passif pour l’Ukraine, comme ce fut le cas pour tous les pays, théâtres involontaires des affrontements américano-soviétiques. Cette guerre « froide », qui fut très chaude pour beaucoup de pays, pourrait s’achever, mais il faut désormais observer les réactions et le rôle futur de la Chine, pour l’instant à l’écart.