ANALYSES

Attractivité géographique et business clusters : les nouvelles politiques d’impulsion de l’innovation

Tribune
22 janvier 2016
par Cyril Warde, diplômé en Géoéconomie et intelligence stratégique auprès d’IRIS Sup’. Titulaire d’une licence en sciences politiques auprès de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.
Le monde d’aujourd’hui est celui de l’ère des chaînes de distribution globales, des communications instantanées, de l’industrie financière digitalisée, de l’open source, et de la mobilité humaine facilitée. Chacune de ces facettes socio-organisationnelles est sujette à innovation régulière, tant en matière d’avancées technologiques qu’en matière de pratiques managériales. Conséquences structurelles de cette atmosphère de changements constants, des phénomènes de rupture et de bouleversements des rapports de force existants dans le système commercial mondialisé viennent régulièrement remettre en question les politiques déployées par les économies nationales.

En effet, le processus de pensée innovatrice – source du dynamisme de tout secteur économique – est constant et dépasse largement les frontières étatiques. Cependant, l’ascendance progressive de ce processus n’aura pas favorisé tous les territoires de manière équitable : seuls les acteurs qui seraient arrivés à suivre et à participer activement aux nouvelles pratiques et réflexions des réseaux professionnels d’un secteur économique peuvent se prétendre aujourd’hui à la pointe de ce même secteur. Pour les administrations publiques, soucieuses du dynamisme des territoires qu’elles entretiennent, l’heure est par conséquent à la recherche d’outils institutionnels permettant un suivi de tels projets et fora de discussion ainsi qu’une participation proactive du plus grand nombre de scientifiques implantés localement et concernés par des domaines bien définis.

C’est avec la volonté de suivre cette nouvelle logique structurelle que de nombreux gouvernements nationaux des pays de l’OCDE se sont récemment engagés dans l’établissement et/ou la consolidation d’entités géographiques – appelés business clusters – regroupant acteurs économiques et scientifiques au sein de zones géographiques bien délimitées. Le but de ces politiques de regroupement sélectif est simple : encourager une atmosphère de réflexion innovatrice et d’expérimentation à grande échelle entre plusieurs acteurs d’un secteur donné dans le but d’attirer un maximum d’investissements au sein de la zone concernée et d’engendrer un processus innovateur à l’échelle du territoire. Par cette recherche de mise en commun des terrains de réflexion, on rechercherait ainsi à rendre la région plus compétitive dans le domaine d’activités dont il s’agit.

Suivant une logique structurelle, il existerait au minimum autant de clusters qu’il n’y a de secteurs économiques, toute économie nationale confondue. Pour prendre l’exemple de la France, où une politique d’accompagnement de projets appelés “pôles de compétitivité”, similaires aux clusters présentés ci-dessus, est impulsée depuis 2004, des spécialisations territoriales sont observables dans des domaines allant de la confection de bio-médicaments (nous pensons au pôle Atlanpoles Biothérapies basé à Nantes), à l’entretien de l’industrie nucléaire civile (notamment au sein du pôle Nucléaire Bourgogne basé à Châlons-Sur-Saône), en passant par le développement des énergies renouvelables dans le bâtiment et l’industrie (particulièrement étudié au sein du pôle DERBI basé à Perpignan). Il existe aujourd’hui 71 pôles de compétitivité sur le territoire français. [1]

Ces entités ont, selon la loi de finances de 2005 qui les définie, “vocation à travailler en synergie pour mettre en œuvre des projets de développement économique pour l’innovation” [2]. Elles sont dotées d’un cachet à la fois scientifique et industriel, et sont solidement appuyées par les diverses échelles de l’administration publique française. En effet, décidés à suivre une politique économique plus affirmée et qui prend acte de la rudesse des rapports commerciaux mondialisés, les pouvoirs publics français se sont résolus à adopter cette nouvelle culture d’aménagement territorial par regroupement stratégique d’entités industrielles et scientifiques. Par la promotion de l’innovation que cela apporterait, les intellectuels y voient une possible solution à la stagnation des facteurs de productivité qui ralentissent le dynamisme productif national. Les politiques, eux, y conçoivent un levier de croissance potentiel à moyen et long terme pouvant mener à cette relance tant espérée. Nous ne sommes pas encore à l’heure du bilan, mais force est de constater que cette initiative d’envergure est la résultante d’un début de réalisme économique à l’échelle des élites qui ne peut qu’être de bon augure.

Cette tendance structurelle ne concerne pas le seul territoire français. Au fil des années, des économies aussi diverses que celles de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de l’Italie, de la Russie, de la Suède, mais aussi du Japon, de la Corée du Sud, de la Chine ou des Etats-Unis, ont témoigné d’un remaniement à visée territoriale et stratégique, poursuivant un même but : l’institutionnalisation de la pensée innovatrice dans un ou plusieurs secteurs économiques par le regroupement organisé de plusieurs acteurs sélectionnés pour leur expertise et encouragés à s’entretenir entre eux. On passe ainsi du développement des industries de haute technologie typique de la Silicon Valley (Californie) à la manufacture sidérurgique et métallique des villes côtières chinoises (Guangzhou, Shaoxing, Suzhou et Foshan, entre autres) [3]. En ce qui concerne l’Europe, l’Italie du Nord accueille notoirement les industriels du textile de luxe, la City de Londres est mondialement reconnue pour son attractivité en matière de services financiers, et l’industrie automobile employait, en mai 2011, plus de 124.000 personnes dans le seul Lander de Niedersachsen en Allemagne du Nord. [4]

Ces projets sont imprégnés de plusieurs principes relativement appliqués comme la restriction géographique de la zone concernée, la bonne circulation de l’information stratégique au sein de cette zone, le nécessaire entretien d’un réseau solide entre les acteurs stratégiques du projet, la promotion d’une organisation spatiale intercomplémentaire ou, tout simplement, la nécessité d’un processus de réflexion innovatrice constant et régulier au sein de la zone délimitée. Ils visent une amélioration progressive des facteurs de productivité influençant le dynamisme des secteurs qui les concernent. En encourageant à la fois une coopération et une compétition intensifiées entre les acteurs de l’innovation, ils deviennent les figures emblématiques de la complexification des rapports internationaux que ces dernières décennies ont progressivement illustrée.

Se voulant ambitieuses et constructives, ces stratégies de regroupement institutionnalisent la réflexion innovatrice pour mieux l’organiser. Encore à leur début dans certains cas, soutenues par une volonté politique de longue date dans d’autres, elles sont la marque de nouvelles politiques industrielles dans le respect desquelles les Etats, loin de se déclarer vaincus par les forces concurrentielles de la mondialisation libérale, prennent acte du changement des règles du jeu commercial international. Reste à savoir si la maturation de cette nouvelle tendance structurelle ne se fera pas trop tardive pour les territoires concernés.

Cette analyse s’est appuyée sur un mémoire de recherche intitulé « Mondialisation et supply-chain collaborative : de l’influence des pôles de compétitivité dans l’impulsion de l’innovation en logistique » et dirigé par Hugues Poissonnier, Docteur en Sciences de Gestion et Enseignant-Chercheur à Grenoble Ecole de Management.

[1] Site officiel géré par le gouvernement français.
[2] Loi n°2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005
[3] Carte de présentation des clusters industriels chinois.
[4] Donnée tirée du rapport de mai 2011 du European Cluster Observatory.
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