ANALYSES

Victoire de l’opposition vénézuélienne aux élections : et maintenant ?

Interview
7 décembre 2015
Le point de vue de Christophe Ventura
L’opposition vénézuélienne a remporté les élections législatives pour la première fois en seize ans. Est-ce une surprise ? Comment expliquer ce tournant ?
L’opposition remporte une nette victoire dans le contexte d’une forte participation. C’est effectivement une première depuis les débuts de la Révolution bolivarienne. A cette heure, la Table pour l’unité démocratique (MUD) gagne 99 sièges sur les 167 à pourvoir. Le chavisme en obtient, lui, 46. Il reste 22 sièges qui ne sont pas encore attribués. Le Conseil national électoral (CNE) finalise les décomptes. Si la MUD en remporte douze parmi ces vingt-deux, elle obtiendra alors la majorité qualifiée des 2/3 qui lui permettra de disposer de tous les pouvoirs possibles à l’Assemblée.
Les résultats s’inscrivent de fait dans la tendance haute de ce qu’on pouvait observer ces dernières semaines. Ce n’est donc pas à proprement parler une surprise. Ce qui est remarquable, c’est la qualité démocratique du Venezuela, pays pourtant souvent mis à mal par les médias internationaux et les formations proches de l’opposition, qui ont en général assez facilement tendance à condamner le pays pour ses soi-disant dérives autoritaires. On a en réalité assisté à un modèle de journée civique et démocratique : 75% de participation au vote, un contexte de tranquillité totale, une reconnaissance immédiate des résultats de la part de Nicolas Maduro qui a reconnu sa défaite et remercié l’ensemble des Vénézuéliens pour la bonne tenue des élections. Pourtant, les médias internationaux – dont les nôtres – annonçaient, eux, le pire : campagnes de fraudes élaborées par le gouvernement, pressions et violences politiques, etc. Une nouvelle fois, il se confirme qu’il existe une distorsion problématique dans le traitement médiatique et idéologique de ce pays. En réalité, le problème le plus préoccupant venait au final de l’opposition qui avait refusé, avant l’élection, de s’engager à reconnaître les résultats, quels qu’ils soient. Cet engagement était pourtant une exigence de la délégation de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) présente sur place. Le message de la MUD était clair : « Nous reconnaîtrons les résultats si nous gagnons, pas si nous perdons ».
Désormais commence une nouvelle étape et une question est posée à la MUD, coalition d’organisations très diverses dont le programme commun s’est essentiellement résumé jusqu’ici à son rejet du gouvernement et de la Révolution bolivarienne. Que va-t-elle faire de cette victoire maintenant qu’elle est majoritaire dans cette Assemblée qui siègera du 5 janvier 2016 à janvier 2021 ? Va-t-elle privilégier la guérilla politique et juridique contre Nicolas Maduro et son gouvernement ? Chercher à l’empêcher de gouverner et de terminer son mandat ? Va-t-elle proposer des solutions concrètes aux problèmes économiques et sociaux des Vénézuéliens ? Si oui, lesquelles ? Va-t-elle conserver son unité ? Autre interrogation : le chavisme va-t-il être capable de se régénérer après cette défaite qui, à mon sens, exprime en premier lieu une sanction populaire contre la situation économique et sociale, les phénomènes de corruption et d’insécurité, etc., davantage qu’une adhésion au projet de l’opposition dont on peine à dessiner les contours.

En quoi l’expérience de la cohabitation sera-t-elle un défi pour la démocratie vénézuélienne ? Va-t-on vers une recomposition des forces politiques avec l’instauration d’un contrepoids ou bien vers une paralysie politique à travers la limitation des pouvoirs du Parlement ?
C’est assez difficile à dire car c’est la première fois depuis 1998 que la droite remporte une élection majeure. C’est un précédent. Cette forme de cohabitation n’est pas à confondre avec celle à la française, le régime politique n’ayant rien à voir. Le modèle vénézuélien est de type présidentialiste, proche du modèle américain, c’est-à-dire avec des pouvoirs assez forts du côté du gouvernement et du président. Ce dernier a toute latitude pour conserver et nommer son gouvernement, sans passer par l’Assemblée nationale. Avec une majorité simple (ou dite « absolue ») de 84 député(e)s, la nouvelle majorité a, elle, le pouvoir, par exemple, d’approuver le budget de l’Etat ou celui des dépenses de la Banque centrale, de discuter et d’approuver tout projet de loi fiscale et de crédit public. Elle a également la possibilité de mettre en place des commissions d’enquête. Elle autorise aussi, selon la Constitution, « la nomination du procureur général de la République et des chefs de missions diplomatiques permanentes ». Avec une majorité de 100 députés (majorité des 3/5e) – il lui manque un siège pour le moment -, elle peut entre autres approuver – ou pas – les lois habilitantes (ordonnances présidentielles) et voter des motions de censure contre le vice-président et les ministres. Avec 111 députés, elle dispose d’une majorité qualifiée des 2/3 et peut alors voter l’organisation d’une assemblée constituante, un projet de réforme constitutionnelle, un projet de loi organique (ou de modification des existantes). Ces initiatives sont ensuite soumises à référendum. Avec une telle majorité, la MUD peut également élire et révoquer des magistrats du Tribunal suprême de justice, du Conseil national électoral, soumettre des projets de lois à référendum populaire.
On sait que le premier projet de la MUD est de proposer une loi d’amnistie et de réconciliation pour obtenir la libération de M. Léopold Lopez, condamné à 13 ans de prison pour incitation à la violence à l’encontre du gouvernement. La Constitution donne en effet à l’Assemblée le droit de « décréter des amnisties ».
Les Vénézuéliens cherchent des solutions concrètes à la crise économique et à la gestion du modèle de développement du pays. Ce message est envoyé à la fois à l’opposition et au gouvernement. Ce sont sur ces thèmes que l’on verra dans le temps se dessiner le nouveau rapport de forces entre l’Assemblée et le gouvernement. Et se préciser la crédibilité des acteurs.

Certains affirment que la défaite du chavisme fait écho aux élections présidentielles argentines du mois de novembre. Partagez-vous ce point de vue ?
Oui, en partie. Aujourd’hui, les trois pays les plus affectés par l’importante crise économique et financière en Amérique latine sont l’Argentine, le Brésil et le Venezuela, où on assiste à des situations de récessions lourdes ou de croissance faible. Ces pays sont moteurs dans l’animation de la vie politique et géopolitique latino-américaine (notamment pour ce qui concerne l’intégration régionale). La victoire de M. Macri en Argentine est un signal qui montre qu’il y a un reflux des forces progressistes latino-américaines ou, plus précisément, de l’hégémonie de la gauche sur cette partie du continent. Cela étant, ce n’est pas la fin brutale d’un cycle qui verrait l’arrivée triomphale des oppositions de centre-droit et de droite, le processus étant plus complexe. En Argentine, M. Macri a gagné sans être plébiscité et de nombreux pouvoirs restent à l’ancienne majorité. Au Venezuela, il y a une alternance partielle dont on peut penser qu’elle débouchera sur une séquence d’instabilité politique plus forte si la polarisation de la société se confirme. Au Brésil, il y a une crise qui impacte tous les acteurs du système politique d’opposition et de majorité qui subissent un discrédit chaque jour plus grandissant. De ce point de vue, il n’y a pas véritablement d’homogénéité sur la nature de ce reflux incontestable mais complexe.
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