ANALYSES

Sida, Ebola, changement climatique : où en est la lutte contre les grandes pandémies ?

Interview
3 décembre 2015
Le point de vue de Fanny Chabrol
Alors que la Journée mondiale de lutte contre le sida a eu lieu ce mardi 1er décembre, les derniers chiffres révèlent que l’épidémie de VIH ne fléchit pas. Comment interpréter cet état de fait ? Est-ce révélateur de la limite des outils classiques en matière de lutte contre le sida ? Pourquoi l’Afrique est-il le continent le plus concerné ?
Il est vrai que l’épidémie ne fléchit pas sur le plan global, malgré des impressionnantes avancées en matière d’accès aux traitements dans le monde. Pour autant, on continue de déplorer de nouvelles infections en France parmi les homosexuels masculins, ainsi que parmi les personnes migrantes. L’étude « PARCOURS » vient d’annoncer des résultats importants qui signalent qu’un tiers des personnes migrantes venant d’Afrique subsaharienne se contaminent en France, ce qui pose un problème de santé publique important, concernant l’accès aux services de santé et de prévention, et plus largement des conditions économiques et sociales dans lesquelles ces personnes vivent en France.
En ce qui concerne les outils classiques dans la lutte contre le sida, la prévention classique a été un peu oubliée au profit, ces dernières années, d’un intérêt remarqué et important pour la question de l’accès aux traitements. Les problématiques structurelles d’inégalités et de vulnérabilités sociales par rapport à la maladie, d’accès aux soins de santé de base, ont été moins prioritaires dans les politiques nationales et internationales. Ces politiques internationales privilégient aujourd’hui l’accès au traitement, le plus tôt possible, afin d’infléchir le cours de l’épidémie, puisque le traitement a une efficacité préventive. Plus de 15 millions de personnes dans le monde sont sous traitement et il va donc falloir prévoir d’augmenter considérablement le nombre de personnes sous traitement et assurer leur financement. L’autre enjeu majeur par rapport aux outils de la lutte contre le sida est la question du dépistage. En Afrique subsaharienne, le dépistage est encore parcellaire et un très grand nombre de personnes ne connaissent pas leur statut. Cela signifie que beaucoup de gens n’ont pas accès aux médicaments et meurent du sida d’une façon inacceptable.
L’Afrique demeure le continent le plus touché d’abord parce qu’il l’a déjà été dès le début de l’épidémie dans une proportion qui ne s’est jamais inversée (plus de 70% des personnes séropositives au monde sont en Afrique). On sait maintenant avec certitude, grâce à des travaux récents, que le virus du sida est né en Afrique centrale et que le VIH faisait déjà des ravages dans les années 1970-1980. Mais si le continent africain paie un si lourd tribut, c’est que les Etats et les populations cumulent différents niveaux de vulnérabilités sociales, économiques et politiques par rapport au VIH qui continuent de se poursuivre.

Un an après la flambée de maladie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest, le cours de l’épidémie s’est inversé. L’OMS a-t-elle tiré les leçons de cette crise pandémique et a-t-elle entamé la restructuration qu’elle semblait vouloir amorcer ?
L’épidémie est maintenant contenue dans les trois pays d’Afrique de l’Ouest. Cette grave épidémie envoie un signal fort à la communauté internationale qui doit effectivement en tirer les leçons. Certes, l’OMS doit tirer des leçons en termes de mécanismes d’alerte et de réponse rapide et a commencé à mener une réflexion avec la remise d’un rapport d’experts en juillet dernier. Mais ce processus, s’il est mené en profondeur, prendra du temps. La principale leçon de l’épidémie d’Ebola concerne l’urgence d’une approche traditionnelle de prévention et de structuration minimale des systèmes de santé pour faire face aux problèmes de santé de base des populations et offrir un maillage efficace de prévention, d’information et d’accès aux services. On sait que les virus ne surviennent pas inopinément dans les pays mais à l’issue d’une série de bouleversements sociaux, politiques, économiques mais aussi écologiques. Le virus Ebola circule parmi certains animaux mais c’est le rapport que les populations entretiennent avec la forêt qui est en jeu dans un contexte d’appauvrissement, de déforestation et de défaillance des Etats à prendre soin de leur population. Enfin, il y a aujourd’hui un risque de superposition voire de compétition en termes de financement. La communauté internationale et les Etats doivent être très vigilants. Il ne faudrait pas que les politiques soient conduites de façon parallèle et s’additionnent mais plutôt que l’on parvienne à lutter contre les épidémies en construisant des systèmes de santé afin que les populations aient les moyens d’avoir accès aux services de base.

Le directeur général de l’OMS a mis en avant le danger que représente le changement climatique sur la santé humaine. A l’heure de la COP 21, les Etats prennent-ils conscience des besoins pour renforcer la sécurité sanitaire internationale ? Quel rôle doit jouer la communauté sanitaire mondiale face à cette problématique ?
Les questions de santé et d’environnement sont étroitement liées. Toute avancée dans la lutte contre le réchauffement climatique sera immédiatement bénéfique pour la santé mondiale. Toutefois, pour parvenir à ces améliorations, les engagements sur l’environnement doivent être de taille. Ce n’est pas seulement la question du réchauffement climatique mais toute une économie internationale qui, pour ce qui concerne l’Afrique, repose encore sur des logiques d’extraction, d’accaparement des terres, de conditions de travail dans les mines qui sont catastrophiques pour la santé des travailleurs. Donc, au-delà des engagements internationaux, ce sont les modalités économiques qui sont en question.
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