Éditos de Pascal Boniface
28 mai 2014
Comment ils nous ont volé le football – Trois questions à Antoine Dumini et François Ruffin

Du coup la Champions League rassemble toujours les mêmes équipes. L’économiste Bastien Drut a montré que sur la période 2000-2006 un club qualifié dans cette compétition avait 84 % de chance de la rejouer l’année suivante alors qu’un club non-engagé dans celle-ci n’avait que 3 % de chance d’y participer. Le tout se déroulant selon un mécanisme très simple : être en Ligue des champions permet d’avoir une prime, qui permet d’acheter les meilleurs joueurs et de finir dans les meilleures places du championnat. La boucle est bouclée. Il faut noter que cette année, ce ne sont pas loin d’être les deux clubs les plus endettés d’Europe qui se retrouvent en finale de cette compétition.
Le deuxième bouleversement est dans la qualité de jeu elle-même. L’arrivée de la télévision dans les années 1980 va changer les règles : désormais les clubs vont vivre avant tout de leurs recettes télévisuelles et la télévision va fixer les règles. Lors du Mondial 1986 les matchs avaient lieu à midi, là où la chaleur est la plus intense. Pourquoi ? Parce que c’était l’heure du prime time en Europe. Les joueurs – et à leur tête Maradona – se plaignaient de ne pas arriver à jouer, la FIFA ne changea rien, son président Joao Havelange déclarant « qu’ils jouent et qu’ils la bouclent ». La télévision va aussi vouloir plus de matchs afin d’accroître les recettes publicitaires. Jusqu’en 1992 la Coupe des Clubs Champions se jouait en match par élimination directe. L’année suivante un mini championnat se jouera entre les équipes – réparties dans différentes poules. Notons que cette modification a été impulsée notamment par le duo Murdoch-Berlusconi, deux grands possesseurs de clubs et de chaines de télévisions.
Est-ce que l’argent tuera le football ? Est-ce que le football est une bulle spéculative qui va éclater ? Il semble que non car le système repose sur une base solide : la passion des fans qui ne semble pas vaciller.
Surtout, le capitalisme a si bien mis la main sur le football professionnel, dans ses moindres recoins, les marques mondialisées, les groupes de communication, les fonds de pension ont si bien fait un gigantesque commerce avec une passion, presque gratuite, que leurs destins semblent liés : il faudrait un écroulement de l’un pour assister à la libération de l’autre.
S’il est nécessaire de réguler la finance, il est aussi nécessaire de réguler le football car de plus en plus ce milieu apparaît entièrement déconnecté de toute réalité. Le fair-play financier proposé par l’Union des associations européennes de football (UEFA) nous apparait très tiède. Celui-ci considère les déficits et non les dettes : la dette existante déjà contractée par les grands clubs ne sera pas sanctionnée. Or c’est de ce côté-ci qu’il faut regarder avant tout si l’on veut mettre sur un vrai pied d’égalité les clubs.
Une première réforme pourrait être de prendre modèle sur l’Allemagne et sa fameuse règle des «50 + 1». C’est une loi protectionniste qui interdit, tout bonnement, aux investisseurs étrangers d’acquérir la majorité d’un club. Cela permet ainsi une véritable continuité dans le projet du développement du club. Par ailleurs, et on retrouve cette carence dans le fonctionnement de l’Union Européenne aujourd’hui, il faudrait interdire la course au moins disant fiscal entre les États et harmoniser les dispositifs fiscaux des clubs.
Ce qui rassemble ces deux univers reste la passion d’un même sport et des mêmes règles. Si les 99 % n’étaient pas là pour acheter les maillots, se rendre au stade, et regarder les matchs à la télévision le petit monde du football professionnel ne ferait pas long feu. Du coup celui-ci devrait selon nous reverser bien plus que les 5 % des droits télés (loi Buffet de 2000).