ANALYSES

Dans les Kivus, la violence encore et la diplomatie impuissante

Tribune
15 novembre 2012
Quelle est la situation humanitaire dans l’Est de la RDC ?

La situation humanitaire est toujours aussi catastrophique. Selon Justin Paluku, gynécologue-obstétricien à l’hôpital de l’ONG Heal Africa, à Goma, cinq mille femmes ont été violées depuis début 2012 dans la province du Nord-Kivu, en raison du regain d’instabilité dans cette région.
Chaque jour apporte son lot de violence. Regardons les dernières dépêches. Six femmes et un bébé viennent d’être massacrés à coups de machette par des Maï-Maï hutu Nyatura à quelques kilomètres de Masisi. Deux agents de santé ont été enlevés près de Goma par des hommes armés présumés être des rebelles hutus. Le Docteur Denis Mukwegue, célèbre pour l’action qu’il mène en faveur des femmes victimes du Sida par suite de viols, à l’hôpital de Panzi, a dû se réfugier après des menaces d’assassinat. Dans le territoire de Lubero, les populations fuient depuis plusieurs semaines les exactions de deux milices Maï-Maï. Dans le territoire de Beni, les ravisseurs de trois prêtres catholiques enlevés la semaine passée réclament une rançon. En Province Orientale, la milice du chef de guerre Morgan a capturé, violé et tué plusieurs personnes en territoire de Mambasa, où se sont réfugiés plus de 3.000 déplacés qui refusent de rentrer chez eux du fait des agissements de Morgan et de ses hommes. Sur les hauts plateaux d’Uvira, des miliciens du FNL burundais ont incendié et pillé plus de 300 habitations.

Et la situation militaire ?

La violence continue dans une totale confusion. La situation s’enkyste à l’Est. Les zones contrôlées par les rebelles deviennent un Etat dans l’Etat.
Profitant de la suspension en avril par Joseph Kabila de l’opération militaire Amani Leo (‘La paix maintenant’, en swahili), plusieurs groupes armés ont gagné du terrain. Des officiers et soldats ex-membres du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), une rébellion tutsi proche du Rwanda, et qui avait été intégrée dans l’armée en 2009, ont fait défection. Les mutins ont alors formé le Mouvement du 23 mars (M23, rebaptisée récemment Armée révolutionnaire du Congo ou ARC). Ce mouvement est apparu en réaction à la volonté de Kinshasa de remettre de l’ordre dans l’armée congolaise, qui n’arrivait pas à digérer l’intégration de combattants tutsis issus d’une précédente rébellion ; Kinshasa voulait déplacer ces recrues loin de leur fief oriental où elles contrôlent toujours des trafics de coltan et de cassitérite dont les ramifications vont jusqu’à Kigali. A présent, 2000 miliciens du M23-ARC peuvent mettre en échec les 17000 soldats du FARDC stationnés dans le Nord-Kivu. Ils poursuivent leurs recrutements dans les localités sous leur contrôle, dans les territoires de Masisi et de Rutshuru. Accusés par l’ONU et des ONG de graves exactions, ils sont même soupçonnés d’avoir noué une alliance contre nature avec les FDLR, des rebelles hutus composés d’anciens génocidaires. Mais la confusion est partout. Ainsi au Sud Kivu, en territoire de Fizi, les combats continuent entre les FARDC et le groupe Maï-Maï Yakutumba, tandis que, dans le territoire de Shabunda, on note la création d’une dissidence des Maï-Maï Mutomboki.

Le Rwanda est accusé de soutenir la rébellion. Qu’en est-il ?

La désignation le 19 octobre dernier du Rwanda comme membre non-permanent du Conseil de sécurité a été finalement acquise. Une humiliation pour les Congolais qui dénoncent, depuis des mois, l’agression du Rwanda dans l’Est du pays. L’Union africaine avait choisi son candidat, le Rwanda, il y a plusieurs mois, bien avant la publication du rapport de l’ONU incriminant lourdement les Rwandais pour leur rôle dans les violences au Nord-Kivu. Ce poste au Conseil de sécurité lui donne désormais la possibilité de verrouiller le dossier Grands Lacs à l’ONU. Au comité des sanctions de l’ONU, le Rwanda pourra s’opposer à l’inscription de militaires rwandais ou du M23-ARC sur la liste des personnes sanctionnées.
Mais dans le même temps, la position rwandaise devient de plus en plus difficile. Un nouveau rapport du groupe d’experts incrimine l’implication directe du général James Kabarebe, puissant ministre de la Défense rwandais, dans le soutien direct au M23-ARC. Cet engagement rwandais aux côtés des rebelles remonterait au mois de mai. Le Rwanda est aussi accusé de violation de l’embargo sur les armes à destination de la RDC, de la poursuite des recrutements et d’exécutions sommaires. Des commerçants rwandais donneraient leur appui à la rébellion via les exportations de certains produits miniers de la RDC.
Selon le rapport de l’ONU, l’Ouganda serait aussi impliqué dans la mutinerie du M23-ARC. Son ministre des relations internationales a apporté un démenti à ces « accusations malveillantes et infondées », tout en menaçant de mettre un terme à sa participation à l’opération de paix en Somalie.

Quels sont les efforts diplomatiques entrepris ?

Le sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Kinshasa mi-octobre dernier a donné lieu à de vives tensions avec le Rwanda qui a refusé un passage de la résolution finale qui évoquait les violations massives des droits de l’homme commises par le mouvement rebelle M23 « et ses soutiens », rejetant un passage sur la poursuite en justice de ceux qui ont commis des crimes de guerre et crimes contre l’humanité en RDC. Joseph Kabila a dénoncé « la guerre injuste imposée par des forces négatives à la solde d’intérêts extérieurs » mais, impuissant, incapable de briser le M23, Kinshasa donne l’impression de tâtonner sur la voie diplomatique.
De son côté, François Hollande a évoqué les frontières intangibles de la RDC et proposé de muscler le mandat de la Monusco, la force des Nations Unies déjà forte de 18000 casques bleus, mais cantonnée à des actions défensives et qui, en dépit des moyens importants dont elle dispose (d’un coût supérieur à deux milliards de dollars) se révèle relativement impuissante à assurer la protection des populations.
En définitive, la résolution finale du sommet a appelé le Conseil de sécurité « à des sanctions ciblées contre les responsables des exactions ». Les ministres de la Défense de la CIRGL, l’organisation régionale de coopération dont sont membres la RDC et le Rwanda, ont quant à eux, adopté un plan d’opérationnalisation d’une force internationale neutre de 4 000 hommes chargée de sécuriser la frontière orientale de la RDC. Pour quelles actions ? Qui la financera ? Quels pays enverront des soldats ? Quel est le concept opérationnel de la force ? Comment fera-t-elle mieux que la Monusco, installée depuis une décennie ? Autant de questions qui conduisent à penser qu’il s’agit encore d’une réponse de circonstance devant une crise qui ne cesse de durer et de meurtrir gravement une région d’Afrique, d’une fausse bonne solution.

Sur la même thématique