ANALYSES

Railleries américaines face à Macron va-t-en-guerre

Correspondances new-yorkaises
29 février 2024


Alors que je venais d’être qualifié de poutiniste sur le plateau de LCI, moi qui suis le fils d’une mère ukrainienne et qui, il y a deux ans, plaidais en faveur de l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine où combattent mes cousins, je fus interrompu dans ma réponse par la déclaration va-t’en guerre du président français Emmanuel Macron.

À la suite de la tribune de Gérard Araud parue dans Le Point, je tentais avant cette interruption d’expliquer en visioconférence à des personnes qui n’écoutaient pas qu’il était essentiel d’aider l’Ukraine à remporter rapidement quelques succès afin qu’elle puisse pouvoir aborder en position favorable d’éventuelles négociations avec Poutine.

Convaincu, et je le déplore profondément, que les Américains ne tarderont pas à abandonner Kiev, comme ils l’ont fait à maintes reprises au cours des dernières décennies avec leurs « alliés » – les femmes afghanes peuvent en témoigner -, il me semble en effet essentiel de tout mettre en œuvre pour éviter que Zelensky ne se retrouve  complètement à terre au moment des pourparlers ou piégé dans un conflit gelé qui ne ferait que repousser l’échéance – et qu’on ne vienne pas me dire que les Européens pourront prendre la place de l’oncle Sam, je ne les pense pas capables de pouvoir soutenir un tel effort sur le long terme, tant est par ailleurs qu’ils soient toujours sur la même longueur d’onde à ce moment-là.

Bref, alors que ce point de vue qui me semble plein de bon sens venait de me valoir d’être traité de poutinolâtre par les ennemis de la nuance, l’intervention de notre Jupiter national mis fin au débat.

Quelle ne fut pas ma surprise de voir s’afficher sur mon téléphone quelques secondes à peine après m’être déconnecté de LCI, les appels de journalistes américains qui venaient de suivre la déclaration présidentielle.

« Is your president crazy ? », me lança d’emblée une correspondante de CBS News que je connais bien. « The man is a joke », me dit un autre qui semblait se tordre de rire.

J’essayais un peu bêtement de bafouiller une explication qui tiennent la route – et à laquelle j’aurais aimé me raccrocher – : « Le président espère probablement créer un électrochoc qui permettra de ressouder le bloc occidental autour de l’Ukraine et cela afin qu’elle puisse tenir un minimum la dragée haute à Poutine dans les prochains mois… ». Mais au fond de moi, une petite voix me susurrait toute autre chose. N’étions-nous pas en train d’assister à la mise en place de la nouvelle stratégie de la Macronie face au Rassemblement national dans la perspective des élections européennes de juin prochain ? Emmanuel Macron, nouveau leader du monde libre face à la méchante Marine Le Pen bénéficiaire par le passé de prêts de banques russes ?

Le lendemain matin dans les couloirs de l’université Columbia, j’eus droit à des sourires en coin, à des plaisanteries un peu lourdes et même à toute une série d’injures à l’encontre d’Emmanuel Macron – que la bienséance m’oblige à garder pour moi – de la part de confrères qui pourtant connaissent mes liens avec l’Ukraine et ma tristesse face à situation.

Il suffisait d’allumer CNN ou Fox News pour comprendre que la classe politique américaine dans sa globalité raillait la position française. Si mon côté enfant de la Patrie n’avait pas pris le dessus, j’en serai sans doute arrivé à tenter de dissimuler mon accent frenchy et à me cacher derrière mon passeport américain.

Mais qu’est-ce qui a bien pu passer par la tête du PR ? Intention sincère d’aider l’Ukraine empêtrée dans un conflit mal engagé depuis le départ ? Velléité d’influencer une campagne électorale qui voit le Rassemblement national caracoler en tête des sondages ?

Quoi qu’il en soit, cette déclaration maladroite*, faite sans concertation avec nos alliés qui tous l’ont dénoncé, n’est pas sans rappeler celle quelque peu surréaliste d’octobre dernier où le président français appelait à une coalition internationale contre le Hamas à la suite des attaques terroristes dont venait d’être victime Israël.

À la différence prête que cette nouvelle déclaration ne fait pas que discréditer un peu plus la France sur la scène internationale, mais la fait jouer avec le feu. Et cela à l’heure où l’on sait que tout dérapage peut-être dangereux.

Un sénateur américain que j’ai déjà cité à plusieurs reprises dans ces colonnes me demandait mercredi si les Français étaient prêts à mourir pour le Donbass.

En guise de réponse je lui transmis les dernières enquêtes d’opinion publiées par la presse française.

 

* Quelque peu rattrapée par Stéphane Séjourné.

 

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Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.
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