ANALYSES

Kamala Harris à la Maison-Blanche d’ici l’été ?

Correspondances new-yorkaises
24 janvier 2024


Les couloirs du Congrès bruissent de nouvelles rumeurs selon lesquelles Joe Biden envisagerait de quitter la Maison-Blanche avant l’été, ouvrant ainsi la voie à sa vice-présidente pour la présidentielle de novembre.

L’idée semble ingénieuse. Imaginons le scénario : Joe Biden, candidat discrédité, dégringolant chaque jour un peu plus dans les sondages, annonce son retrait pour raisons de santé. Du jour au lendemain, Kamala Harris devient la première femme à occuper le Bureau ovale. Une dynamique puissante s’installe, faisant de la convention démocrate une balade pour elle, aucun démocrate sérieux ne voulant rivaliser avec la présidente en titre. Sa victoire en novembre 2024 assurerait alors au parti de l’âne de conserver le Sénat, voire peut-être même de regagner du terrain à la Chambre des représentants.

Pas mal sur le papier. Mais je n’y crois pas. Non pas que la chose me déplairait. Bien au contraire. Nous assistons aujourd’hui à l’une des pires présidences démocrates de l’histoire récente. Il faut remonter jusqu’à Grover Cleveland pour voir quelque chose de pareil. Même Carter ressemble à un champion face à Biden. Et cela quoiqu’en disent les observateurs français qui ont bien souvent une vision biaisée de la situation.

Voir le sieur Joseph Robinette Biden, Jr tirer sa révérence au profit de Kamala Harris, ne pourrait donc que me réjouir. Au moins, le contribuable américain que je suis n’aurait plus à financer le White House Anti-Gaffe Squad attaché aux basques du 46e président des États-Unis ! Mais cela n’arrivera pas. En tout cas, pas de cette manière.

Et cela tout simplement parce que Biden et son entourage immédiat ne peuvent pas encadrer Harris. Les violentes et souvent justifiées attaques de celle-ci durant la campagne des primaires de 2020 à l’encontre de l’ancien vice-président de Barack Obama ont laissé de profondes cicatrices. Depuis, Biden ne s’est jamais vraiment pardonné d’avoir cédé aux pressions de ceux qui l’avaient poussé à prendre l’élue californienne comme colistière. Le mot d’ordre a donc été pendant longtemps de faire payer « celle qui n’a été choisie que parce qu’issue des minorités » en l’éloignant des centres de décision et en l’isolant le plus possible sur la scène politique intérieure. La voir rempiler une seconde fois sur le ticket démocrate est déjà dur à avaler, alors lui offrir la présidence sur un plateau d’argent, c’est non ! Faut quand même pas pousser mémé – ou plutôt pépé – dans les orties.

Et c’est bien dommage. Car que cela soit comme sénatrice ou comme procureure générale de Californie, Kamala Harris a su faire preuve à plusieurs occasions d’une ténacité et d’un courage exemplaires ainsi que d’un vrai sens politique. Qualités qui ne sont pas si courantes au sein de l’actuelle administration américaine. On se croirait presque revenu au temps où un Kennedy jaloux marginalisait un Lyndon Johnson pourtant destiné à devenir le dernier grand président américain – du moins pour ce qui est de la politique intérieure.

Alors, s’il est donc peu probable selon moi que l’équipe de la Maison-Blanche soit à l’origine des rumeurs de départ de Robinette, d’où celles-ci peuvent-elles bien provenir ? D’ennemis cachés qui cherchent à humilier le président en mettant en avant son état de santé dégradé et son Alzheimer ? De démocrates qui redoutent par-dessus tout de voir Biden s’enliser dans une campagne présidentielle qu’il ne peut que perdre – imaginez les trois débats face au Donald ! – et qui espèrent qu’à force d’être répétée cette possible fausse information de retraite anticipée finisse par influencer le réel ?

Je n’ai pas la réponse à cette question, mais ce qui est pour moi une quasi-certitude, c’est que si Joe Biden continue à s’accrocher à son poste comme une moule à son rocher, c’est l’instigateur du coup d’État raté du 6 janvier 2021 qui fera son entrée à la Maison-Blanche l’année prochaine.

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Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.
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