ANALYSES

De Trump à DeSantis : une campagne sous le signe de la masculinité toxique

Tribune
18 avril 2023

De l’opposition drastique à l’avortement à la stigmatisation des trans, en passant par la glorification des armes à feu, Donald Trump et Ron DeSantis entretiennent la flamme du masculinisme en vue de la présidentielle de 2024.


Ces derniers jours, aux États-Unis, les attaques contre les femmes ont connu une nouvelle actualité avec la tentative d’interdiction de la pilule abortive par un juge fédéral du Texas. Son jugement se fonde moins sur des arguments juridiques sérieux que sur une idéologie misogyne, traditionnelle chez les anti-choice. Selon lui, en particulier, les femmes recourant à l’avortement médicamenteux sont dépourvues de libre arbitre et fortement susceptibles de développer des troubles psychologiques graves, de l’anxiété, et de se suicider parce qu’elles regretteraient avoir avorté.

Au-delà de l’abus de pouvoir (de l’avis de très nombreux.ses juristes) qui se concrétise dans son jugement (partiellement retoqué par une cour d’appel et qui suit maintenant son chemin vers la Cour suprême saisie en urgence par le gouvernement), le juge Kascmaryk a ouvert la boîte de Pandore pour forcer la plus haute juridiction du pays à se prononcer sur le droit des femmes à avoir accès à la pilule abortive y compris dans les États fédérés qui ont confirmé le droit à l’avortement. Si la Cour suprême allait dans le sens de son interdiction sur l’ensemble du territoire national, elle se dédierait de son arrêt Dobbs du 24 juin 2022 qui a déconstitutionnalisé ce droit et laissé à chacun des 50 États la possibilité de légiférer sur le sujet. Mais tout est possible.

Parler, comme le fait Kascmaryk, non pas d’embryons ou de fœtus, mais de « bébé à naître » ou de « personne à naître » n’a rien d’anodin puisque cette stratégique rhétorique s’inscrit dans la dynamique portée par les anti-avortement les plus fanatiques : criminaliser l’avortement, faire des femmes qui y ont recours des meurtrières, susceptibles d’être condamnées à mort comme le proposent certains en Caroline du Sud dans un projet de loi en cours. Cherchez la logique : punir de mort quelqu’un au nom d’un « droit à la vie ». L’enjeu est clair une fois de plus : il s’agit bien de punir les femmes.

Contournement de la démocratie

À l’aide de théories du complot insinuant que la Food and Drug Administration (FDA) serait corrompue et scientifiquement incompétente, le juge reprend mot pour mot les éléments de la plainte déposée auprès de lui par l’organisation anti-avortement Alliance Defending Freedom. La haine de la médecine et de la science, c’est une caractéristique de l’obscurantisme, partout dans le monde. Selon ces gens, la FDA jouerait donc contre la sécurité des femmes : un « argument » parfaitement abject (en plus d’être faux) car la santé et le bien-être des femmes sont bien le cadet des soucis de ces fanatiques qui, au passage, se prétendent plus compétents que la plus haute autorité du médicament du pays. Une fois encore (et sans minimiser les autres raisons, toutes légitimes, pour lesquelles on recourt à l’avortement, qui est reconnu comme un droit fondamental par les Nations unies), l’ignorance et la dénégation des raisons médicales pour lesquelles les femmes avortent sont particulièrement choquantes puisqu’il s’agit de refuser de voir que souvent l’interruption d’une grossesse est nécessaire pour raisons médicales (le fœtus n’est pas viable) ou tout simplement pour sauver la vie des femmes concernées.

C’est avec ce type de raisonnement qu’avec les lois locales interdisant ou réduisant drastiquement l’accès à l’avortement aux États-Unis, mises en place depuis l’an dernier, des milliers de femmes se voient interdire d’avorter parce que le type de complications ou de fausse couche auquel elles sont confrontées n’entre pas dans les cases prévues par la loi en question. Beaucoup témoignent aussi pour dire qu’elles se sont vu tout simplement refuser un suivi gynécologique pendant les premières semaines de leur grossesse.

Kacsmaryk, comme toutes celles et tous ceux qui poussent le curseur le plus loin possible dans l’interdiction de l’avortement, sait pertinemment que l’interdiction de la pilule abortive ne pourra pas arriver par la voie démocratique, les deux tiers de la population américaine étant favorables à l’accès à l’avortement, comme l’ont confirmé l’ensemble des derniers scrutins (les Midterms de novembre 2022, notamment). Voilà pourquoi le juge tord le bras à la loi pour faire adopter sa mesure par la Cour suprême. C’est exactement la même tactique qui a été utilisée par les anti-choice, depuis les années 1980, pour parvenir à l’arrêt Dobbs de juin 2022. Une fois encore, on constate que les attaques contre les droits des femmes sont un puissant cheval de Troie dans la remise en cause des valeurs, des normes et des règles démocratiques. Pour, ensuite, revenir sur quels droits humains ?

Comme le note le journaliste Mark Joseph Stern dans Slate, « c’est un moment de vérité pour les juges de la Cour suprême, comme Kavanaugh et Barrett, qui ont affirmé que leur opposition à Roe prenait corps dans les principes constitutionnels et ne résultait pas de leur croyance religieuse. S’ils ne mettent pas fin à la folie de Kacsmaryk, il et elle montreront au pays que leur objectif n’est pas de laisser la question de l’avortement dans les mains du processus démocratique, mais d’utiliser tous les outils en leur pouvoir pour rendre l’avortement illégal dans chacun des États ».

DeSantis n’assumerait-il pas sa loi anti-avortement ?

Le masculinisme le plus pur est également au cœur de la loi qu’a signée, le 13 avril dernier, loin des caméras, presque en cachette, le gouverneur de Floride, Ron DeSantis et qui interdit l’avortement après 6 semaines de grossesse. Il rend ainsi caduque une loi qu’il avait lui-même promulguée l’an dernier, cette fois devant un large public de supporters, qui limitait ce délai à 15 semaines. Si le dernier texte doit encore être confirmé par la Cour suprême de Floride, il contient tous les poncifs misogynes, comme le fait qu’une femme ou une adolescente enceinte suite à un viol ou un inceste devra fournir un document prouvant la véracité du crime dont elle a été victime avant de pouvoir avorter.

Tout ceci est d’une hypocrisie totale car, aux États-Unis comme ailleurs, une très petite partie des femmes victimes de viol portent plainte et parmi elles, la plupart voient leur plainte refusée ou classée. Une réalité mise au jour par les associations et la recherche, et donc largement connue. En outre, le temps de l’instruction de la plainte, le délai pour avorter est passé. « C’est une politique qui protège les violeurs », dit dans un tweet la représentante démocratie Alexandria Ocasio-Cortez, en réaction à la loi de Floride.

Comme le note Amy Schoenfeld Walker dans le New York Times, des médecins et centres médicaux ont peur des poursuites en raison du flou des textes de loi en vigueur. La mention d’exceptions pour raisons médicales ou en cas de viol n’est que de la façade. Les femmes sont ainsi doublement victimes : il leur est impossible d’avorter en plus de ne pas être reconnues victimes d’un crime. Ces législateurs, comme la Cour suprême depuis Dobbs, auront du sang sur les mains et beaucoup de souffrances, physiques et morales (mais aussi économiques), sur la conscience.

Le trumpisme et l’instrumentalisation du genre

Autre sujet d’actualité, mais s’inscrivant dans la même logique : la poursuite de la stigmatisation des personnes trans. Le 14 avril, à Indianapolis, au congrès annuel de la National Rifle Association (NRA), le principal lobby des armes à feu, dont il ne manque aucune session, l’ancien président-candidat Donald Trump a livré une diatribe en faveur de libre port d’armes. Il a désigné les problèmes mentaux et « l’idéologie trans » – qualifiée à demi-mots de potentiellement violente et dangeureuse pour la société, non seulement sur le plan civilisationnel, mais sur le plan du crime – comme les véritables causes des tueries de masse dans le pays. Les 400 millions d’armes à feu en circulation n’y donc seraient pour rien.

Trump et plusieurs leaders du parti républicain, sans oublier des médias d’extrême droite, se font le relais de théories conspirationnistes selon lesquelles il y aurait une augmentation de la violence et des meurtres commis par les personnes trans ces dernières années. Rien ne vient étayer cette affirmation. Le massacre dans une école chrétienne de Nashville, le 27 mars, par Audrey Hale (qui, selon la police, utilisait un pronom masculin pour se définir sur un réseau social : faut-il en conclure qu’il s’agissait d’un.e trans ?), a été le point de départ de ces discours de haine. Qu’Audrey Hale ait pu acheter légalement sept armes à feu, dont des fusils semi-automatiques, et que ses parents aient estimé, selon le New York Times, que leur enfant n’aurait pas dû posséder des armes vu sa fragilité psychologique, cela n’est pas abordé par les pro-armes. À Louisville, dans le Kentucky, Connor Sturgeon, qui a tué cinq de ses anciens collègues dans une banque avant d’être abattu, le 10 avril dernier, a été désigné comme trans par l’extrême droite, dont Trump. Qu’en est-il ? Nous n’en savons rien.

Rappelons que le FBI a défini l’extrême droite comme la principale menace terroriste sur le sol américain, et que les LGBT sont surtout des victimes de la violence, attisée par la haine de tel.le.s politicien.ne.s irresponsables, par les obsédé.e.s anti-woke.

D’une part, chaque occasion est bonne pour stigmatiser les LBGT, comme l’illustre la multiplication des mesures et lois locales discriminantes à leur encontre, en Floride, par exemple. D’autre part, alors que plus de 95 % des shootings de masse aux États-Unis (deux shootings par jour en 2022 : au moins 4 morts ou blessés excepté le tireur) sont commis par des hommes cis, le genre n’est JAMAIS questionné. Or, cette violence masculine devrait être, en soi, une préoccupation majeure des politiques publiques. C’est, autant que la libre circulation des armes à feu, un problème structurel, non un problème de « quelques individus malades mentaux qui prennent des drogues » (Trump).
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