ANALYSES

Faillite de la SVB : doit-on craindre une crise bancaire en Europe ?

Interview
21 mars 2023
Le point de vue de Éric Percheron


La Silicon Valley Bank (SVB), banque spécialisée dans le financement de « start-up » et de la « tech », a fait faillite le vendredi 10 mars 2023. S’agissant à ce jour de la plus importante faillite bancaire américaine depuis la crise des subprimes de 2008, la chute de la SVB laisse craindre des risques de contagion aux systèmes financiers américains et européens. Quels sont les facteurs à l’origine de la faillite de la SVB ? Quels peuvent en être les effets sur l’économie américaine ? Existe-t-il un risque de contagion sur le système financier européen ? Le point avec Éric Percheron, chercheur associé à l’IRIS, spécialisé sur les questions de conformité dans le domaine financier et de sécurité financière.

Quels sont les facteurs à l’origine de la faillite de la Silicon Valley Bank ?

Cette banque, pourtant inconnue du grand public, était la 16e banque américaine en volumes de dépôts, avec une clientèle concentrée sur le secteur des « techs », des « startups » et des sociétés de capital-risque. Sa faillite, la plus importante depuis celle de Washington Mutual en 2008, qui dépassait en montant celle de Lehman Brothers, ne doit pas laisser croire que les leçons de la crise des subprimes n’avaient pas été tirées il y a quinze ans. La résilience du marché est considérablement renforcée, singulièrement en Europe. On craint aujourd’hui que la chute de la SVB ne mette en péril l’ensemble du système bancaire américain, puis mondial, et ensuite que l’incendie n’embrase l’économie mondiale, dollarisée ou pas. Cela dit, pour qu’un incendie se déclenche, il faut carburant, comburant et activateur.

Le carburant, c’est la gestion surprenante de son bilan par la SVB, dont les financiers ont choisi de placer les liquidités surabondantes de leurs clients dans des titres de dette de l’État à long terme. Avec un argument de sécurité de la contrepartie, sans considération sur le risque de liquidité en cas de bank run : l’actif disponible doit toujours couvrir le passif exigible.

Le comburant est d’ordre conjoncturel et dogmatique. Conjoncturel, car la politique de gavage des marchés par des liquidités de la Banque centrale ─ le « quantitative easing » mis en œuvre en 2008 et encore relancé lors de la crise Covid ─ a noyé les marchés sous l’argent à placer, et finalement suralimenté les entreprises ayant levé des capitaux, qui n’en avaient d’autre usage que de les confier à la banque. La SVB avait finalement 200 milliards d’USD dont elle se demandait sans doute bien ce qu’elle aurait pu en faire dans un environnement « tech » désintermédié.

Le comburant est aussi dogmatique, car en 2018 Donald Trump avait obtenu du Congrès que le seuil de banque « d’importance systémique », donc dont la chute pourrait entraîner celle de tout le système, soit relevé de 50 à 250 milliards d’USD d’actifs. Ainsi, la SVB, comme d’autres, a vu les exigences prudentielles auxquelles elle devait répondre largement assouplies.

À ce mélange, il ne manquait qu’un activateur : la hausse des taux s’en est chargée. Mécaniquement, le prix d’un actif qui rapporte 1 % s’ajuste à la baisse lorsque les taux montent, jusqu’à rapporter le même rendement que les nouveaux actifs émis. Par conséquent, les actifs de la SVB perdaient régulièrement de la valeur, alors même que ses clients ne levaient plus aussi facilement de la dette presque gratuite et commençaient à vouloir puiser dans leurs bas de laine.

Effet ciseau, effet marteau : le temps de la Tech en 2023 n’est pas celui de Wall Street en 2008, et en quelques heures la SVB a simplement disparu. Sa branche anglaise a été rachetée un dollar par HSBC et l’activité américaine a été cantonnée dans un autre établissement sous le contrôle du gouvernement fédéral.

L’immoral est sauf : les bonus de 2022 auront été payés aux managers durant les dernières heures d’agonie de SVB.

Quels peuvent en être les effets sur l’économie américaine ?

La réaction des autorités américaines une fois la situation de la SVB connue a été rapide et déterminante. Joe Biden, ancien vice-président nommé en novembre 2008, garde certainement en mémoire la période des subprimes et la gestion des conséquences de cette crise. En tout cas, ses premiers mots ont été pour les clients de la SVB, auxquels il a assuré qu’ils ne perdraient pas leurs avoirs qui dépassaient la garantie fédérale des dépôts bancaires de 250 KUSD. C’est sans doute une nécessité pour éviter les faillites en série d’établissements de même taille que la SVB. Ça reste coûteux quoiqu’on en dise puisque 90 % des dépôts de clients chez SVB n’étaient pas couverts par le mécanisme de garantie. Après, bien malin qui peut prédire les effets qui seront de toute façon conjugués à d’autres crises dont les foyers sont encore inconnus à cette heure.

En tout état de cause, la SVB n’est pas le patient zéro de cette crise. Sa faillite intervient après des scandales retentissants. On pense notamment à FTX, dont la liquidation a fragilisé l’ensemble de l’écosystème de la « tech ». Un événement est toutefois passé presque inaperçu. Alors que la SVB mettait la clé sous la porte, sans que l’on sache si les deux sont liés, les deux principales cryptomonnaies ont vu leurs cours exploser ces derniers jours, comme l’or, laissant croire que le bitcoin et l’ethereum seraient devenus, au même titre que l’or,  des instruments de réserve. Mais hors craintes de faillite du système, ces hausses sont peut-être dues à des arbitrages de monnaies crypto supposées stables (des « stablecoins ») qui se sont malgré tout effondrées.

Existe-t-il un risque de contagion sur le système financier européen ?

Le système financier mondial forme un tout dont seuls l’Iran et la Corée du Nord sont exclus, compte tenu du régime de sanctions auquel ces pays sont soumis. Ainsi, que cela soit par le canal du dollar ou par un autre des innombrables liens entre l’Europe et les États-Unis, il y aura contagion s’il y a crise globale. Pour le reste, les banques européennes ont a priori peu de relations d’affaires avec les banques américaines hyper spécialisées, donc tout incite à écouter le ministre de l’Économie et le patron de la Fédération bancaire française lorsqu’ils nous rassurent : il n’y aura pas de retour de flamme depuis les États-Unis.

Mais nous ne sommes pas plus intelligents que les autres. Nous aussi nous avons gavé les marchés avec de l’argent frais qui a permis de suralimenter des sociétés. La France a poussé le modèle encore plus loin, nous avons nos « licornes », sociétés reconnues comme telles car valorisées plus d’un milliard de dollars. Mais admirez la beauté du raisonnement. Elles sont licornes car elles sont valorisées en fonction non pas de leurs résultats financiers, mais en fonction des levées de fonds auprès des investisseurs.

En d’autres mots, on mélange le prix d’un actif financier et la production de valeur contributive à la richesse de la Nation…

Finalement, sans doute n’y a-t-il pas de risque de contagion. Néanmoins, c’est plutôt le risque de multiplication des départs de feu isolés qui doit faire l’objet, plus que jamais, de toutes les attentions.
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