ANALYSES

Déboulonner Christophe Colomb

Correspondances new-yorkaises
15 février 2023


Alors qu’aux États-Unis, le Black History Month bat son plein, la polémique concernant Columbus Day et plus généralement toute célébration du navigateur génois renaît.

Longtemps célébré comme « celui qui a découvert l’Amérique », Christophe Colomb est aujourd’hui de plus en plus vu comme le symbole de l’arrivée des Européens et de la conquête de terres ne leur appartenant pas. Conquête suivie par le génocide des Amérindiens, l’esclavage et autres crimes contre l’humanité.

Dans la foulée des manifestations contre les inégalités raciales déclenchées par la mort de George Floyd, tué par un policier blanc à Minneapolis le 25 mai 2020, de nombreuses statues de personnages liés à l’histoire controversée des États-Unis et aux discriminations ont été déboulonnées ou attaquées.

Bien que le dézingage « d’idoles » soit un fait récurrent dans l’histoire humaine, cela n’est pas une pratique que j’applaudis inconditionnellement. Je crois que juger le passé à l’aune du présent est souvent une erreur et que plusieurs personnages historiques exceptionnels qui n’ont eu pour faiblesse que d’être sur certains aspects des hommes de leur temps ne méritent pas toujours tout l’opprobre dont on cherche à les couvrir. Je citerais à titre d’exemple pour ce qui est de l’histoire états-unienne et au prisme de leurs relations ambiguës avec l’esclavage, Georges Washington, Thomas Jefferson ou encore Benjamin Franklin.

Mais en ce qui concerne Christophe Colomb, il en va tout autrement. C’est pourquoi j’avais souscrit sans réserve à la décision du maire de Mexico de remplacer une statue de l’explorateur par celle d’une femme indigène. Selon l’élu, cette décision a représenté un acte de « justice sociale », ainsi que la reconnaissance de cinq cents ans de « résistance indigène » depuis la conquête espagnole.

En effet, n’est-il pas scandaleux, si l’on y réfléchit deux minutes, de célébrer un homme qui certes grand navigateur, n’en est pas moins à l’origine du trafic d’esclaves sur le continent américain ? Rappelons-nous qu’en 1495, au retour de son deuxième voyage, Colomb ramena 550 Indiens captifs dans le but de les vendre comme esclaves – deux cents d’entre eux moururent au cours de la traversée. Les survivants durent leur liberté à la reine Isabelle de Castille qui, outragée, laissa entendre au marin qu’elle ne tolérerait pas la mise en esclavage des indigènes avant d’ordonner la remise en liberté et le retour à Hispaniola des malheureux prisonniers de Colomb.

Colomb, un homme qui ne fut même pas un administrateur colonial compétent et qui fit régner dans les Caraïbes violences et désordres avant de s’éteindre en 1506 en refusant obstinément d’admettre qu’il n’avait pas atteint les Indes lors de son voyage de 1492 – et cela bien qu’Amerigo Vespucci l’ait démontré depuis 1503 avec son concept de « Nouveau monde ».

Et c’est sans parler du fait, avéré depuis, que Christophe Colomb n’a pas véritablement découvert l’Amérique. En effet, des vikings venus d’Islande s’étaient déjà établis pendant plusieurs décennies au Groenland avant d’atteindre vers l’an 1000 des régions de l’est de l’actuel Canada y établissant une colonie nommée Vinland à l’embouchure du fleuve Saint-Laurent.

Non, je ne vois rien qu’y justifie que l’on célèbre dans de nombreux pays cet adepte de la culture du viol de femmes indigènes, rien qu’y justifie qu’aux États-Unis un jour férié, « Le jour de Christophe Colomb », soit chaque deuxième lundi d’octobre dédié au génocidaire des Taïnos, à l’homme à l’origine de la mort d’environ 60 millions d’Amérindiens, un individu  qui n’hésitait pas à ordonner des massacres au cours desquels, pour citer Bartolomé de las Casas, hommes, femmes, enfants étaient « transpercés par les lances, dépecés par les épées, tranchés par le milieu, dévorés et déchirés par les chiens, brûlés vifs pour un grand nombre d’entre eux ».

Certains disent qu’avec la commémoration de Christophe Colomb et donc de la pseudo découverte de l’Amérique en 1492, l’Occident n’entend pas célébrer l’explorateur, mais l’un des moments importants qui marquent le passage du Moyen-Âge aux Temps modernes. Très bien, mais on pourrait trouver autre chose pour cela. Pourquoi pas l’invention de l’imprimerie par Johannes Gutenberg en 1450 ?

Un vrai travail de mémoire reste à accomplir. En attendant, ici, aux States, les statues du navigateur génois n’en finissent pas d’être déboulonnées par des protestataires, que cela soit à Baltimore, à Boston, à Miami ou à Richmond en Virginie, et cela parfois même avec l’aide des autorités locales, comme à San Francisco. It’s good !

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Ses deux derniers essais, «Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » et «  Femme vaillante, Michaëlle Jean en Francophonie », sont respectivement parus chez Max Milo en 2020 et aux Éditions du CIDIHCA en 2021
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