ANALYSES

Négocier avec Poutine : je m’explique

Correspondances new-yorkaises
27 janvier 2023


À la suite de la publication de ma dernière correspondance, j’ai reçu un grand nombre de messages, certains me reprochant de suggérer aux Ukrainiens de négocier avec la Russie, d’autres m’accusant d’être un pro Poutine, voire carrément un membre d’une quelconque cinquième colonne.

Visiblement, il semble de plus en plus difficile de faire entendre une voix quelque peu discordante avec la pensée dominante. Mais l’était-elle vraiment ?

Je ne crois pas. Je m’explique :

1- J’ai été l’un des tout premiers au début de l’invasion russe à reprocher aux Occidentaux un manque de fermeté et à les accuser d’une forme de lâcheté après qu’ils aient refusé à Zelensky la mise en place d’une no-fly zone. Je reste convaincu qu’une démonstration de force aurait poussé un Vladimir Poutine surpris et déstabilisé à négocier. Car oui, hier comme aujourd’hui, seule la négociation peut régler le conflit. Autant donc qu’elle se fasse à l’avantage de l’Ukraine. Et à ceux qui croient que la Russie pourrait finir par déposer les armes sans condition, je réponds qu’ils se trompent de guerre. Cela n’arrivera pas. Je le regrette, mais c’est un fait.

2- Lorsque j’écris, toujours dans ma dernière correspondance, que le plus probable est que les Américains finissent à terme par pousser Zelensky à négocier dans des conditions plus ou moins similaires à celles qui auraient été celles de l’année dernière, une fois encore, ce n’est pas ce que je souhaite. Je déplore simplement que dû à un manque de fermeté l’année passée, la possibilité de nous retrouver dans une telle situation, après tant de vies sacrifiées, existe. Et croyez-moi, avec la campagne présidentielle approchant, une chambre des représentants hostile et le scandale des documents classifiés, il est fort probable que Biden en arrive là dans quelques mois. N’oublions jamais que les Américains ne se sont pas privés depuis le Vietnam de laisser tomber leurs alliés lorsque cela les arrangeait. Dernier exemple en date, la débâcle de Kaboul et l’abandon des Afghans à leur triste sort et cela malgré plus de 2400 militaires tués en vingt ans de guerre et plus de 700 milliards de dollars dépensés.

3- Enfin, lorsque je suggère que Zelensky traite avec le Kremlin tant qu’il peut encore se reposer sur quelques victoires, cela n’est pas de gaité de cœur. C’est tout simplement que pensant probable le scénario mentionné plus haut, je crains que le président ukrainien ne se trouve dans quelques mois dans une position plus défavorable que celle qu’il occupe aujourd’hui.

Bref, je ne vois rien ici qui justifie que l’on traite les personnes qui partagent ma thèse ainsi que moi-même de pro Poutine. Un peu de nuance, s’il vous plaît. Décrire une situation d’une façon que je crois être lucide, ne veut pas dire que je m’en réjouisse – accuse-t-on le médecin qui diagnostique un cancer d’en être responsable ?

C’était il y a neuf ans, lorsqu’il a envahi la Crimée, qu’il aurait sérieusement fallu tordre le bras du « gangster du Kremlin ». L’annexion de celle-ci, rapidement acceptée de facto, et donc rendue ainsi quasi irréversible par les Occidentaux ne pouvaient que laisser présager la succession de lâchetés qui nous a conduits où nous en sommes aujourd’hui. C’est-à-dire, dans une course en avant vers une impasse.

Jamais l’Ukraine, déjà à court de combattants face à une Russie sur le point de mobiliser près de cinq cent mille réservistes, ne pourra véritablement gagner cette guerre sans une intervention sur le terrain des alliés. Et celle-ci, à moins que Poutine ne s’en prenne directement à l’OTAN, n’aura jamais lieu. Les Américains ne sont pas prêts à mourir pour l’Est de l’Ukraine. On peut le regretter, mais c’est un fait*.

Espérons qu’au moins les prochains envois de chars à l’armée ukrainienne permettront à celle-ci de contrer la puissante offensive russe qui se prépare, plaçant ainsi Volodymyr Zelensky en position de force à la table des négociations où les deux parties finiront inexorablement par se rendre.

*S’il s’avérait à terme que l’Amérique se retire du conflit plus ou moins la queue entre les pattes comme elle en a pris la malheureuse habitude, tout néanmoins ne serait pas perdu pour elle, loin de là. En témoignent les mirobolants contrats remportés par son industrie pour la reconstruction de l’Ukraine.

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Ses deux derniers essais, «Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » et «  Femme vaillante, Michaëlle Jean en Francophonie », sont respectivement parus chez Max Milo en 2020 et aux Éditions du CIDIHCA en 2021
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