ANALYSES

La victoire empoisonnée de Kevin McCarthy

Tribune
9 janvier 2023


L’élection douloureuse de Kevin McCarthy au poste de speaker de la Chambre des représentant·e·s américaine, après 15 tours de scrutin, met un peu plus au jour les profondes divisions du parti républicain, alors que la pré-campagne présidentielle de 2024 a déjà commencé.



« Calmez-vous, messieurs, ça ne va pas bien se passer… ». Pile deux ans après la tentative d’insurrection des militants trumpistes fanatiques au Capitole, deux élus républicains (Mike Rogers et Matt Gaetz) de la Chambre des représentant·e·s, à Washington, ont failli en venir aux mains. Trop de colère, de rancœurs, de frustrations ? Ces hommes seraient-ils émotifs ?…

Désigné speaker au 15e tour de scrutin, du jamais vu depuis deux siècles, Kevin McCarthy, représentant de Californie, voit le rêve de sa vie prendre enfin corps. Mais à quel prix ? Les coulisses de cette victoire à la Pyrrhus vont petit à petit se dévoiler : qu’a-t-il cédé à la faction du parti républicain constituée de MAGA et d’anciens Tea Party et appelée « Freedom Caucus », pour que ses membres, après plusieurs jours de bataille acharnée, lui accordent finalement leurs voix ? Une victoire humiliante, sans aucun doute, aidée en partie (en partie seulement) par Donald Trump qui a convaincu, par téléphone, quelques récalcitrants ces dernières heures.

Le parti républicain à la Chambre, dont il a repris de justesse la majorité aux Midterms de novembre 2022 (222 sièges pour une majorité à 218), est à l’image du parti républicain dans le pays : divisé et de plus en plus ouvertement sujet aux pressions de franges extrémistes, au mépris du bon sens électoral. Ce qui s’annonce, probablement, à la Chambre, ce sont des blocages institutionnels (comment les républicains vont-ils se mettre d’accord avec les démocrates pour augmenter le plafond de la dette afin d’éviter les shutdowns ?) et de rudes batailles au sein même du Grand Old Party.

Or les MAGA ne sont pas que dans le Freedom Caucus ; Marjorie Taylor Greene, par exemple, a soutenu McCarthy dès le départ mais cela ne signifie pas qu’elle l’ait fait gratuitement, et si des deniers (celles et ceux qui nient le résultat de la présidentielle de 2020) ont voté contre McCarthy, d’autres l’ont soutenu.

Élu dans la douleur, donc, McCarthy incarne la faiblesse politique, dans la forme étant donné les circonstances de sa désignation, mais aussi probablement dans le fond car il a, pour gagner, vidé la fonction de speaker d’une bonne partie de ses pouvoirs. La discipline de vote à droite, c’est terminé. Et c’est bien une autorisation à l’obstruction que le successeur de Nancy Pelosi a accordée aux anti-système dont le but est de bloquer l’État et le fonctionnement parlementaire et gouvernemental. Il a, depuis longtemps, l’image d’un homme politique dépourvu de colonne vertébrale, tantôt trumpiste invétéré, tantôt critique à l’égard de l’ancien président et il est méprisé par ceux et celles qui viennent de le faire roi.

Qu’est-ce que le Freedom Caucus a obtenu de McCarthy ? Ce sera plus clair au fil des prochaines semaines mais il s’agit de postes-clés dans les commissions parlementaires (on se bat pour occuper les places d’un système que l’on veut renverser…), d’une facilité à bouleverser les règles de fonctionnement de la Chambre, de la soustraire à l’autorité du speaker grâce à une procédure de révocation possible par la voix d’un·e seul· élu·e, de faciliter les amendements, mais aussi, selon CNN, la mise en œuvre d’actions et le déblocage de fonds parlementaires dédiés à entraver des enquêtes du ministère de la Justice. En d’autres termes, une obsession complotiste nourrie du refus que l’État demande des comptes sur le 6 janvier 2021.

Le parti républicain n’a pas de programme, il reste englué dans ses obsessions identitaires et n’a jamais dénoncé ni les violences politiques d’extrême droite, ni la tentative de coup d’État d’il y a deux ans. Il n’a jamais réglé le problème du mythe de l’élection volée de 2020. Or le piteux résultat des trumpistes aux Midterms 2022 était l’occasion de mettre enfin un terme au pacte faustien scellé avec Trump en 2016.

Le Grand Old Party n’a plus beaucoup de temps pour se reconstruire, trouver une cohérence, se doter d’une vision d’avenir pour le pays : car la pré-campagne de la présidentielle de 2024 a déjà commencé. Ses déboires ne datent certes pas de Trump. Mais ce sont les méthodes trumpistes qui ont banalisé le mensonge et le jusque-boutisme. Quant à l’affaiblissement de l’Etat fédéral et de ses institutions, il est tout en haut de la pile de Trump s’il devait revenir au pouvoir. Oui, c’est possible. Mal parti aujourd’hui mais possible. Joe Biden, de son côté, a, ces derniers jours, rappelé son ambition de mener les réformes en accord avec les élu·e·s républicain·e·s qui le souhaiteront, ce qui lui a plutôt réussi depuis son élection en 2020.


Une tribune republiée à partir du blog Mediapart de Marie-Cécile Naves.








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