ANALYSES

Pérou : pourquoi cette crise politique ?

Interview
16 décembre 2022
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky


Depuis la destitution du président Pedro Castillo, le 7 décembre, le Pérou est secoué par une crise politique. Des manifestants demandent son retour et la démission de la nouvelle présidente par intérim, Dina Boluarte. Qu’est-ce qui a conduit à cette destitution ? Quelle est l’ampleur de la crise actuelle ? N’est-elle pas également liée à une crise économique profonde ? Comment se positionnent les pays d’Amérique latine par rapport à la situation politique au Pérou ? Le point avec Jean Jacques Kourliandsky, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de l’Amérique latine.

Qu’est-ce qui a conduit à la destitution de Pedro Castillo après seulement seize mois de mandats puis à son arrestation ?

Pedro Castillo a annoncé le 7 décembre 2022 la dissolution du Congrès des députés dans des termes non prévus par la Constitution. Décision accompagnée de celles d’une autorisation donnée au Président de gouverner par décret, de l’arrestation de la procureure générale, et d’un couvre-feu pour la population.

La décision de dissoudre le parlement était inconstitutionnelle. Elle relève de l’auto-coup d’État, déjà pratiqué au Pérou par Alberto Fujimori en 1992. Le Congrès a riposté quelques heures plus tard en prononçant la destitution du président. Forces armées et police ont refusé d’appliquer le couvre-feu. Le président a été arrêté par les membres de son escorte policière.

Le président a sans doute été poussé à fauter par un Congrès qui lui était opposé et l’a empêché de gouverner depuis le premier jour de sa prise de fonction. Il a été l’objet de tentatives de destitution qui n’ont pourtant pas recueilli le nombre de votes suffisant. Une majorité de députés était opposée au président Castillo. Mais divisée par des querelles personnelles, des intérêts concurrents, cette opposition n’est jamais arrivée à surmonter sa fragmentation. Une motion de destitution était en débat, au moment de la décision prise par le Président Castillo, le mettant en cause pour des affaires de corruption, ainsi que son entourage.

Quelle est l’ampleur de la crise actuelle ? N’est-elle pas également liée à une crise économique profonde ?

Cette crise, loin d’être conjoncturelle, est révélatrice de profonds dysfonctionnements de la société péruvienne. Elle vient après beaucoup d’autres. La quasi-totalité des présidents péruviens élus depuis la chute d’Alberto Fujimori, a été mis en examen ou a pris la fuite. Alan Garcia s’est suicidé. Chacune de ces crises a été accompagnée de manifestations, suivies à l’élection suivante par l’émergence d’un outsider inattendu.

Historiquement inégalitaire et raciste, la société n’a jamais réussi depuis son indépendance à résorber ses déficits. Le divorce perpétué depuis l’indépendance entre une « élite » sociale et politique, riche et blanche qui accapare le pouvoir et l’argent, et une majorité autochtone et afro-descendante, est à l’origine d’une instabilité institutionnelle structurelle. La crise d’aujourd’hui en est un révélateur.

Depuis 2019, de nombreux présidents de gauche ont été élus en Amérique latine. Quel est leur positionnement par rapport à la situation politique au Pérou ? Il y a-t-il des divergences ?

Le gouvernement « progressiste » de Gabriel Boric au Chili avait dès son entrée en fonction signalé l’urgence pour l’Amérique latine de construire un discours partagé à l’international. Sa ministre des Affaires étrangères avait signalé l’urgence de dépasser les clivages idéologiques pour bâtir un dénominateur commun diplomatique permettant de défendre les intérêts de l’Amérique latine dans les enceintes interaméricaines et internationales. AMLO au Mexique, Gustavo Petro en Colombie, avec le soutien de l’Argentin Alberto Fernandez, ont tenu des propos parallèles. Mais le concret diplomatique, la réaction à l’invasion russe de l’Ukraine par exemple, n’a pas vu une quelconque initiative commune venue d’Amérique latine.

La crise péruvienne confirme l’existence ou l’émergence d’une fragmentation, qui traverse l’espace du camp des présidents progressistes : Brésil et Chili ont mis l’accent sur l’auto-coup d’État et ont reconnu la légitimité de la nouvelle présidente, Dina Boluarte, par ailleurs issue du parti de gauche, Pérou Libre. Argentine, Bolivie, Colombie et Mexique ont condamné dans une déclaration commune, l’arrestation de Pedro Castillo, mettant l’accent sur son élection. Le Mexique lui a offert l’asile politique. Cuba et le Venezuela ont la même position, mais n’ont pas signé ou n’ont pas été invités à signer la déclaration de leurs collègues argentin, bolivien, colombien, mexicain -, il est vrai élus sans contestation, et conformément aux usages démocratiques, présidents de leurs pays respectifs.
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