ANALYSES

Pourquoi « The 1619 Project » du New York Times a du sens

Correspondances new-yorkaises
7 décembre 2022


Dans trois ans, les États-Unis fêteront leur deux cent cinquantième anniversaire et plusieurs projets commémoratifs sont déjà en chantiers.

À l’occasion de ces préparatifs, The 1619 Project du New York Times n’a jamais autant alimenté le débat. Initié puis développé par la journaliste Nikole Hannah-Jones à la fin des années 2010, The 1619 Projet a souvent été moqué et caricaturé par ceux qui, par refus de réfléchir ou par peur de se remettre en question, rejettent systématiquement toute idée dite woke.

Il n’a jamais été réellement question ici – à part peut-être pour quelques ultras – de modifier la date de naissance officielle des États-Unis comme cela a pu être colporté. L’idée générale du projet est certes de contester les origines de la nation américaine que l’on rattache par méconnaissance historique ou manipulation à l’arrivée du Mayflower en 1620 sur les côtes de Nouvelle-Angleterre, mais non d’abroger la date du 4 juillet 1776.

Pour Nikole Hannah-Jones et les auteurs du 1619 Project, si le débarquement des Pères Pèlerins des entrailles du Mayflower illustre bien une certaine idée de l’Amérique, celle d’une terre d’asile pour toutes les victimes de persécutions – en l’occurrence ici religieuses -, l’arrivée en 1619 à Jamestown en Virginie du navire le White Lion ayant à son bord une vingtaine d’Africains capturés par les Portugais, marque, quant à lui, le début du calvaire des Noirs américains. Et donc d’un des chapitres les plus tragiques, si ce n’est le plus tragique, de l’histoire états-unienne.

D’où l’idée de Hannah-Jones de considérer cet épisode, par ce qu’il porte en germe, comme l’un des points d’origine, voir le point d’origine, de celle-ci. On pourrait d’ailleurs aller encore plus loin, en disant que la face sombre de l’Amérique trouve ses racines dans la création même de Jamestown, première colonie anglaise implantée durablement en Amérique du Nord et fondée en 1607 par des aventuriers sans scrupule, avides de profits et massacreurs d’Indiens. Aventuriers qui, John Smith en tête, annoncent déjà ce capitalisme sauvage et sans pitié qui ravagera le pays de l’Oncle Sam au cours des siècles suivants. On imagine combien les fondateurs de Jamestown ont dû se réjouir à l’arrivée du White Lion et de sa cargaison de travailleurs forcés… Alors, où situer les origines de la nation américaine ? En Nouvelle-Angleterre en 1620 avec les Pères Pèlerins, comme on l’a ressassé à des générations d’écoliers, ou bien à Jamestown en 1619 ? C’est là tout le mérite de Nikole Hannah-Jones d’avoir ouvert le débat en nous rappelant le tragique épisode du White Lion et en le plaçant avec raison au premier plan de l’histoire américaine.

Pour ma part, les deux événements se complètent et sont marqueurs de la petite enfance de ce qui deviendra l’Amérique tant ils sont représentatifs de la dualité, si ce n’est de la dichotomie, de ce qui constitue encore aujourd’hui l’identité états-unienne. D’un côté, l’adoration du dieu dollars et la recherche du profit personnel a tout prix, quitte à faire fi des droits élémentaires de son prochain, de l’autre, une volonté farouche de croire en les idéaux les plus nobles et de les propager par tous les moyens.

Pour conclure, je ne peux donc, à l’heure où l’Amérique commence à se préparer pour son deux cents cinquantième anniversaire, que conseiller vivement à toute personne de bonne volonté, la lecture de l’ouvrage collectif A New Origine – The 1619 Project, édité par le New York Times – pour les plus jeunes, il existe une adaptation magnifiquement illustrée par Nikkolas Smith, intitulée, Born on the Water. Quant à ceux qui continuent à réfuter en bloque le 1619 project et qui s’obstinent à voir en l’arrivée des Pères Pèlerins l’aube bénie et généreuse de l’Amérique, je leur ferais remarquer avec ironie que ces derniers seront de peu suivis par leurs cousins les puritains, responsables des horreurs commises à Salem à la fin du 17e siècle et de la chasse aux sorcières.

 

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Ses deux derniers essais, «Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » et «  Femme vaillante, Michaëlle Jean en Francophonie », sont respectivement parus chez Max Milo en 2020 et aux Éditions du CIDIHCA en 2021.

 

 
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