ANALYSES

États-Unis / pays du Golfe : rien ne va plus

Tribune
13 octobre 2022


La récente décision de l’OPEP­­+ de réduire la production de 2 millions de barils/jour est un tournant dans la relation entre les grands pays producteurs de pétrole du Golfe et les États-Unis, mais on pourrait dire l’Occident en général. Cette décision vient signifier ce que les dirigeants du Golfe, Arabie saoudite en tête, ne cessent de répéter depuis un an : nous ne prendrons en compte que nos propres intérêts dans nos relations avec les pays tiers, y compris avec les États-Unis et l’Occident dont jusqu’ici ils étaient très proches.

Au-delà de la préservation des intérêts économiques et du souci légitime en soi de se prémunir contre une baisse du prix du pétrole qui avait atteint ses plus bas niveaux en 2018-2019 et avait sérieusement mis à mal les économies des pays du Golfe, la décision pilotée par l’Arabie saoudite est une décision éminemment politique. Elle va à l’encontre de l’avis des Émirats arabes unis (E.A.U) qui préconisaient semble-t-il une certaine prudence ou un report de la décision.  En faisant le choix de s’allier objectivement avec la Russie de Poutine, Mohammed Ben Salman (MBS), envoie un signal à l’Occident : nous pouvons gérer nos relations extérieures comme bon nous semble.

Hasard du calendrier, la visite le 10 octobre à Saint-Pétersbourg de Mohammed Ben Zayed (MBZ), président des Émirats arabes unis, est un autre signal fort de défiance vis-à-vis des États-Unis. Cette visite, prévue de longue date, répond à celle de Vladimir Poutine aux Émirats en 2019, mais le moins que l’on puisse dire est que le moment est mal choisi. Par ailleurs, les deux dirigeants ont multiplié les signes d’amitié et affiché une identité de vues. MBZ a pris soin de souligner l’étroitesse des liens qui unissent les E.A.U. à la Russie où quatre mille entreprises russes sont installées. Un demi-million de touristes russes se sont rendus aux Émirats l’année dernière. Anwar Gergash, l’influent conseiller de Mohammed Ben Zayed, a mis en avant « les orientations d’Abou Dabi d’ouverture à toutes les parties et la diversification de ces choix politiques ». En mars dernier, le ministre des Affaires étrangères des Émirats s’était rendu à Moscou pour discuter du renforcement de la coopération « dans tous les domaines ».

Un changement profond d’orientation

Ne nous y trompons pas, ces nouveaux choix politiques sont durables. Ils ne sont pas le fruit du moment ou d’une bouderie passagère qui prendra fin avec de bonnes paroles. Les pays du Golfe ne se sentent pas concernés par la guerre en Ukraine même s’ils prennent soin régulièrement d’appeler au dialogue pour parvenir à une résolution pacifique du conflit en se gardant bien en même temps de ne pas désigner la Russie comme agresseur. En deuxième lieu, les pays du Golfe ont acquis la conviction profonde que les puissances occidentales ne voleraient pas à leur secours en cas d’attaque. Enfin, sur la question des droits de l’Homme, qui obsède les pays occidentaux, il est beaucoup plus confortable de traiter avec des autocrates peu regardants.

Les dernières rencontres entre Occidentaux cet été (visite de Joe Biden en Arabie saoudite en juillet dernier, visites de MBS et de MBZ en France) n’ont pas produit les résultats escomptés. Au-delà de la réaffirmation de principes auxquels aucune des parties ne croit plus, rien de concret n’a émergé de ces rencontres.

La rencontre entre Biden et Mohammed Ben Salman aura été de ce point de vue improductive tellement la répulsion qu’éprouvait le président américain à être en présence du prince héritier saoudien était palpable. Les États-Unis ne peuvent même plus compter sur la sagesse du Roi Salman dont l’état de santé est très affaibli et qui vient de nommer son fils au poste de Premier ministre. De facto, MBS a les mains libres pour mener la politique qu’il entend et se lancer dans des projets pharaoniques, tels que la ville du futur qui devrait coûter 500 milliards de dollars sans compter les autres projets programmés depuis quelques années qu’il faudra financer.

Washington de son côté ne décolère pas après la décision de l’OPEP+ dont elle tient les Saoudiens pour responsables. Responsables de mettre Joe Biden en difficulté en provoquant une hausse des carburants à la pompe avant les élections de mi-mandat qui s’annoncent très difficiles. Responsables de s’être alliés, objectivement ou pas, avec la Russie de Poutine lui fournissant une occasion de vendre son pétrole plus cher et de financer ainsi son effort de guerre en réduisant la portée des sanctions occidentales. La Maison-Blanche étudie des mesures de rétorsion qui pourraient être prises à l’encontre du Royaume. En réalité, comme le souligne John Kirby du National Security Council, les options sont limitées : « 70 000 Américains vivent sur le sol saoudien et il est de notre intérêt de maintenir les accords de sécurité avec l’Arabie saoudite ».

De son côté Fayçal Ben Farhan, le ministre saoudien des Affaires étrangères a voulu minimiser la portée de la décision de l’OPEP+ en disant qu’il ne s’agit pas d’une décision politique, mais d’une mesure prise à l’unanimité pour stabiliser les marchés dans l’intérêt des pays producteurs … et des pays consommateurs. Il a tenu à souligner la solidité des liens historiques qui unissent son pays aux États-Unis.

Les prochaines semaines devraient clarifier la situation. Si des rencontres à haut niveau ont lieu entre Américains et Saoudiens, comme une visite du Prince Khalid Ben Salman, frère et très proche de MBS, ancien ambassadeur à Washington qui vient d’être nommé ministre de la Défense, cela pourrait améliorer la relation entre les deux pays. Un autre signal de détente pourrait être envoyé lors de la réunion de décembre prochain où l’OPEP+ pourrait rectifier le tir en annonçant une augmentation significative de la production.

 
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