ANALYSES

Les États-Unis pourront-ils enfin faire reculer le lobby des armes ?

Presse
9 juin 2022
Plus de 90 % des tueries sont le fait des hommes. Cette violence « genrée » devrait questionner au moment où l’opinion soutient des dispositifs de contrôle

Plusieurs centaines de fusillades de masse se produisent chaque année aux États-Unis. En 2021, il y en a eu près de 700, soit quasiment deux par jour. Celles à motivation raciste ou touchant des institutions scolaires sont plus médiatisées. Les massacres de l’école Sandy Hook, à Newtown en 2012, et du lycée de Parkland, en Floride en 2018,etplus récemment celui de l’école d’Uvalde, au Texas, après celui survenu dans un supermarché au sein d’un quartier noir de Buffalo ont beaucoup choqué.

Le Congrès fédéral américain n’a toujours pas voté de loi significative pour restreindre le libre port d’arme, notamment interdire les fusils d’assaut. Si plusieurs États fédérés ont durci ou envisagent de durcir leur propre législation, d’autres, aux mains des Républicains, ne changeront rien. Vingt millions d’armes à feu ont été vendues aux États-Unis en 2021, après l’année record de 2020, avec près de 23 millions. Un business florissant. Une majorité d’Américaines et
d’Américains soutiennent cependant des mesures plus restrictives, comme les background checks (contrôle des antécédents des acheteurs potentiels), ou des dispositifs de red flags (drapeaux rouges) permettant aux proches de signaler aux autorités la dangerosité d’un individu afin qu’il se voie retirer les armes à feu en sa possession. Du côté des pro-armes, les mêmes mots reviennent pour qualifier les tueurs : « malade mental », « individu isolé », « fanatique de jeux vidéo », « le diable »… Or, « on ne peut pas légiférer contre le Mal ». Il s’agit, en d’autres termes, de dépolitiser un sujet dont ils n’ignorent pas la dimension hautement politique. Plus de 90 % des fusillades de masse dans le pays sont perpétrées des hommes. Si c’étaient des femmes, le débat public questionnerait l’enjeu de genre, mais ce n’est pas le cas, comme si cette violence masculine était normale. Les tueurs de masse ont très souvent un passif de violences conjugales ou familiales. Ils font montre, dans des lettres ou des messages laissés sur Internet, d’une frustration et d’une colère qui n’ont trouvé à s’exprimer que dans les coups et les meurtres. La masculinité toxique n’est pas une spécificité des États-Unis mais elle y est indissociable de la très grande disponibilité des pistolets et fusils, au cœur d’une guerre culturelle imposée par une droite, pour ne pas dire une extrême droite, nostalgique d’un âge d’or mythifié de l’Amérique, galvanisée par les années Trump et fétichiste des armes à feu.

L’« autodéfense » contre des « ennemis » fantasmés et qu’il faut contrôler, et la volonté de revanche contre une société dont les normes traditionnelles s’effritent, et qui est donc perçue comme insécure, figurent toujours parmi les motivations des tueurs de masse. De leur côté, les pouvoirs publics, pour prendre ces sujets à bras-le-corps, gagneraient à s’appuyer sur les travaux des sciences sociales qui ont bien identifié la dimension genrée de cette violence.

 

Publiée dans L’Humanité.
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