ANALYSES

L’île Maurice, une réussite fragile

Tribune
5 mai 2022
Par Patrick Ferras, président de l’association Stratégies africaines et enseignant à IRIS Sup’.


 

Les récentes manifestations sociales qui se sont déroulées dans la capitale Port-Louis et plusieurs autres villes (20 avril 2022) ont montré la difficulté pour l’économie mauricienne de reprendre sa marche en avant interrompue principalement par la pandémie de la Covid-19. Le coût de la vie est très élevé, car lié essentiellement aux importations. La situation ne devrait donc pas s’améliorer tant les incertitudes mondiales vont continuer à engendrer des augmentations sur le prix de l’essence, du gaz et de l’alimentation. La baisse du tourisme et ses conséquences sur le chômage ne sont pas étrangères aux revendications des manifestants. Le malaise social reste profond et c’est un « cocktail de frustrations [1] » qui s’est exprimé ces derniers jours.

Pourtant l’île Maurice, un État africain, reste un symbole de la réussite, voire une exception par rapport au continent. Forte d’une faible population de 1.3 million d’habitants, elle affiche depuis longtemps des données intéressantes sur le plan économique. Malgré une baisse significative de sa croissance due à la Covid-19, son produit intérieur brut par habitant (8 627 dollars US) reste le second du continent derrière les Seychelles (10 764dollars US) [2]. L’indice de développement humain du pays est le plus élevé d’Afrique (IDH de 0.804 en 2021) et l’île Maurice maintient une économie au revenu élevé selon les critères de la Banque mondiale. Elle reste une destination privilégiée pour les investissements directs à l’étranger (IDE) [3]. L’Agence française de développement (AFD) accompagne notamment le secteur public, mais aussi le secteur privé au travers de prêts et de projets [4].

Sa population est multiethnique et multiconfessionnelle. La religion principale est l’hindouisme. La crise sanitaire a souligné l’efficacité des mesures gouvernementales et la vaccination de sa population est proche de 80 %. Indépendante depuis 1968, l’île Maurice est considérée comme une « pleine démocratie » et prend la première place en Afrique [5]. Elle devance le Botswana, le Cap-Vert, l’Afrique du Sud et la Namibie [6]. L’Inde demeure un partenaire privilégié pour la République de Maurice [7]. Suite à l’avis consultatif rendu par la Cour Internationale de Justice (25 février 2019), l’Assemblée générale des Nations unies a acté que l’archipel des Chagos faisait partie intégrante du territoire mauricien et que le Royaume-Uni devait rendre rapidement l’archipel à Maurice [8]. Située à 2 100 kms de Maurice, la plus grande des îles, Diégo Garcia, abrite des installations militaires américaines.

Membre de l’Union africaine, Maurice fait partie sur le plan régional de la Communauté de développement de l’Afrique australe et du Marché commun de l’Afrique orientale et australe. Elle appartient à la fois à l’Organisation internationale de la Francophonie et au Commonwealth. Son dynamisme est particulièrement visible au sein de la Commission de l’océan indien (COI – créée en 1982) dont elle accueille le siège. Cette organisation intergouvernementale comprend l’Union des Comores, les Seychelles, Madagascar et la Réunion (France). La COI est exclusivement composée d’îles et s’appuie sur des projets de coopération régionale. Il s’agit de la seule organisation africaine dont la France est membre. Elle est géographiquement partie prenante de l’espace indopacifique qui alimente plusieurs stratégies actuelles (France, Union européenne…). Depuis 2013, la COI est responsable de la montée en puissance de l’architecture régionale de sécurité maritime au travers du programme MASE [9] (Maritime Security) et notamment de la mise en place de deux centres régionaux de coordination opérationnelle (Seychelles) et de fusion des informations maritimes (Madagascar).

L’ile Maurice, État insulaire, joue un rôle fondamental dans la partie ouest d’un espace stratégique pour le XXIe siècle. Point d’appui historique sur la route des Indes, elle continue d’attirer les grandes puissances (Chine, Japon, Inde [10], UE, France…) par son positionnement stratégique et sa vaste zone économique exclusive aux richesses importantes. Son atout majeur réside dans cette zone maritime dans la mesure où les ressources de ses terres sont limitées. Elle se situe à un tournant décisif de son histoire et va devoir construire son avenir autour d’une stratégie globale centrée sur l’économie bleue [11] tout en résistant aux puissances extérieures. À l’instar de beaucoup d’États, il lui reste, en politique intérieure, à concilier le respect de l’environnement avec la prise en compte d’enjeux sociaux majeurs pour s’acheminer vers une « transition juste [12]».

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[1] Des émeutes à l’île Maurice, symboles d’un malaise social profond (france24.com).

[2] La moyenne du PIB par habitant en Afrique (55 États) est de 1 501 dollars (données Banque mondiale consultées en avril 2022).

[3] Lettre Mensuelle de l’AEOI novembre2021_Les IDE en AEOI.pdf.

[4] Lettre Mensuelle de l’AEOI – Octobre 2021 – Climat.pdf.

[5] Classement 2021 des pays africains les plus démocratiques selon l’EIU (Agence Ecofin – Moutiou Adjibi Nourou – 11 février 2022).

[6] Les Seychelles n’ont pas été prises en compte, mais elles sont régulièrement associées aux premières places des classements sur la démocratie en Afrique.

[7] Son Premier ministre, Pravind Jugnauth, a effectué une visite de huit jours en Inde du 17 au 25 avril 2022.

[8] Résolution A/RES/73/295 du 24 mai 2019.

[9] Financé par l’Union européenne.

[10] L’Inde construit une base militaire à Agalega, une île mauricienne située à environ 1 000 kilomètres de l’île principale.

[11] Le pays reste très vulnérable aux effets du changement climatique et à l’érosion des côtes.

[12] Le concept de transition juste cherche à intégrer les préoccupations de justice économique, sociale et environnementale (cf. L’économie africaine 2022 – AFD – pp. 41-57).
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