ANALYSES

Retrait du Mali : « En moyenne, l’intervention d’une puissance étrangère est acceptée pendant trois ans et là nous en sommes à neuf »

Presse
18 février 2022
Interview de Caroline Roussy - France info
Pourquoi cette annonce du retrait français du Mali intervient-elle maintenant ? 

Nous voyons bien que nous étions dans une situation d’escalade politique et diplomatique, qu’il n’y avait plus de canaux de discussions. Chacun a poussé l’autre dans ses retranchements. Cette escalade a pris de l’ampleur ces dernières semaines, avec des échanges peu amènes de part et d’autre, et le renvoi des militaires danois du Mali. Pour la France, il y a un alignement, après ce renvoi des forces danoises, avec l’Union européenne.

Ce redéploiement du dispositif de l’opération Barkhane était à l’ordre du jour, il avait été annoncé le 10 juin par Emmanuel Macron. Un départ du Mali n’avait peut-être pas été envisagé, plutôt un dispositif bien plus léger, avec davantage de visibilisation des Européens. Pourquoi cette annonce maintenant ? Nous pensons aussi au calendrier présidentiel : ce dossier peut s’inviter dans le débat.

Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, expliquait récemment qu’un statu quo n’était « pas possible dans un contexte très dégradé au Mali », avec la prise du pouvoir par la junte, ou encore la présence de la milice privée russe Wagner. Les conditions sur le terrain n’étaient plus réunies pour une présence française ? 

Je pense que c’est un peu plus complexe que cela. Les forces françaises sont quand même plus nombreuses que les miliciens de Wagner. Il y avait des personnes avec qui il était devenu difficile de discuter, mais qui, aussi, demandent le respect, ce qui est audible. La France a participé à la montée de cette escalade verbale.Les conditions n’étaient plus réunies pour un partenariat. Pourtant, sur le plan militaire, il y a eu ces derniers temps une bonne collaboration entre les forces armées maliennes et les forces européennes et françaises. Ce qui montre ce hiatus entre le politico-diplomatique et le militaire.

Comment expliquer le développement d’un sentiment anti-français au Sahel ? 

Il s’agit, déjà, des comptes mal soldés de la colonisation. La France ne parvient pas à se défaire de cette image de colonisation et d’impérialisme. La présence des forces françaises depuis 2013 joue également. Nous connaissons la cyclicité de l’acceptation de l’intervention d’une puissance étrangère sur un sol souverain – en moyenne, elle est de trois ans maximum. Aujourd’hui, nous sommes à neuf ans de présence française, cela devient forcément difficile.

L’opération Barkhane donnait l’image d’une armée bien dotée, avec de nouvelles technologies. Des populations ne comprennent pas que l’on n’arrive pas à mettre un terme à l’action de quelques milliers de jihadistes. Des jihadistes font des émules auprès de jeunes sans opportunité… Et la désinformation russe joue également son rôle.

Peut-on parler d’un revers pour la France ? Quel bilan peut-on faire de l’opération de lutte antiterroriste au Mali depuis 2013 ?

La présence jihadiste s’est répandue au Burkina Faso, au Niger, elle gagne certains pays du golfe de Guinée. Le temps et la durée nous permettront de mieux connaître ce bilan de l’opération. La France, depuis 2019, utilise des drones qui ont tout de même permis de neutraliser des chefs de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) ou d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Cela a permis de mettre la pression sur ces réseaux.

D’un point de vue qualitatif, la présence française a-t-elle amélioré la vie des populations ? Non, à mon sens. Un chef disparaît, un autre apparaît. Et regardez le nombre de déplacés internes, le nombre de réfugiés… Cela met aussi une pression sur les Etats voisins. Finalement, la menace a-t-elle été bien appréhendée ? Partir après neuf ans dans ces conditions, avec toutes les questions que ce retrait suscite… On ne peut pas dire que c’est positif.

Néanmoins, il faut rester dans l’attente : les Français ne sont pas chassés du Sahel et du golfe de Guinée. Il faudra voir comment la France, avec ses partenaires sahéliens et européens, avec ses partenaires d’Afrique de l’Ouest, vont désormais conjuguer leurs efforts dans cette nouvelle séquence géopolitique qui peut se révéler délicate.

Quelles pourraient être les conséquences de ce retrait du Mali ? 

L’une des hypothèses, c’est que cela laisse le champ libre aux jihadistes. La coopération semblait plutôt bonne entre les forces armées maliennes et françaises. Il faudra voir si la formation des militaires maliens sera suffisante. L’armée était très faible en 2012, et nous avons aujourd’hui des chiffres selon lesquels le nombre de soldats maliens a été multiplié par trois voire quatre.

Mais beaucoup disent qu’elle reste faible. Et avec les sanctions récentes prises par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de I’Ouest (Cedeao) [afin de sanctionner la junte au pouvoir], l’Etat malien pourra-t-il payer ses fonctionnaires (dans l’armée notamment) ? Et jusqu’à quand ?

Cela risque également d’être très compliqué pour les Maliens, car ils manquent de matériel militaire. Le soutien français était notamment important en terme aérien, avec de plus en plus d’opérations aériennes pour éviter les engins explosifs improvisés et  des avions à basse altitude visant à effrayer les jihadistes et signifier une présence.

Comment voyez-vous évoluer la présence française et européenne dans la région, après ces annonces ? 

Le redéploiement du dispositif est extrêmement complexe, il va demander des accords juridiques. Cela ne pourra pas être déclaré du jour au lendemain. Un certain nombre de négociations ont abouti, notamment avec le Niger. La mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM) et la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) resteraient, mais de nombreuses questions restent en suspens. Il reste la question des bases, qu’il va falloir sécuriser pendant cette séquence. Elles ne seront plus dans l’opérationnel, comment les protéger dans ce contexte ? Nous devons attendre les précisions concernant le redéploiement du dispositif.

Au niveau européen, tout cela doit être négocié pays par pays, avec les Etats du Sahel et du golfe de Guinée. Cela peut prendre du temps.

Propos recueillis par Valentine Pasquesoone pour Franceinfo.
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