ANALYSES

« Chacun est passé à l’offensive » : pourquoi la rupture entre le Mali et la France est consommée

Presse
1 février 2022
Interview de Caroline Roussy - Le Parisien
Entre la France et le Mali, la rupture est consommée ?

Oui. On est passé de plusieurs mois d’échanges à fleurets mou­chetés à une escalade violente. Côté malien et côté français chacun est passé à l’offensive. La France considère que le gouvernement malien est illé­gitime et irresponsable, les mots sont forts. Les Maliens, avant d’en arriver au renvoi de notre ambassadeur, ont remis en question le traité de coopé­ration et de défense mis en place spécifiquement pour l’opération Barkhane.

Avec quelles conséquences ?

Parallèlement à cette volonté de révision ils ont renvoyé sans ménagement les militaires danois (venus renforcer la For­ce spéciale européenne Taku­ba), visant la France à travers eux. L’épisode est survenu juste après les sanctions de la Cédéao – la Communauté des États de la région. Aux yeux des Maliens, ces sanctions ont été dictées par Paris. Tout cela fait le lit d’un souverainisme euphorique au Mali, donne l’image d’un pouvoir qui s’oppose à la France et croise le fer. À la différence des dirigeants qui acceptaient d’être convoqués par Emmanuel Macron au sommet de Pau en janvier 2020.

La junte malienne joue sur son opinion publique ?

Oui, car l’opinion africaine reproche une arrogance, une verticalité des rapports et un certain manque de respect à l’égard des anciens. Ils n’ont pas oublié la scène du discours à l’Université de Ouagadougou (Burkina Faso), où Macron avait lancé : « Il est parti réparer la climatisation » à l’endroit du président Kaboré – renversé début janvier – qui s’était absenté un instant. On voit ces manifestations antifrançaises à Bamako et d’autres villes du Mali. Elles peuvent être en par­tie téléguidées par la junte et attisées par les Russes, mais il ne faudrait pas les réduire à cela, il y a un réel sentiment d’adhésion à cette posture de bravade face à Paris.

Paris doit en tirer les leçons ?

Oui, d’autant plus que la junte risque fort de s’immiscer dans la campagne présidentielle. Ce pourrait être un prêté pour un rendu, puisque les sanctions à l’encontre du Mali ont été décrétées après le refus des colonels de respecter le calen­drier de transition politique, qui prévoyait des élections en février. Même si les relations internationales jouent peu sur une élection, des images de drapeaux tricolores brûlés par des manifestants dans un pays où des soldats français sont tombés auraient un effet néfaste sur nos compatriotes.

Concrètement, cela signifierait un retrait de Barkhane du Mali ?

Cela va être difficile sur le plan opérationnel. Évacuer une base comme Gao demande plusieurs mois, d’autant qu’elle détient en réserve tout le maté­riel des trois bases déjà ren­dues aux Maliens. Gao s’étend sur 15 ha, c’est une vraie ville et un aéroport capable d’accueillir des gros-porteurs. Il y a donc un enjeu à la fois opérationnel et de communication. La Fran­ce veut éviter le syndrome de l’Afghanistan, avec les images désastreuses de Kaboul en août dernier. Il faudra aussi expliquer aux opinions françaises comme africaines les raisons de ce repli. On lit déjà que la France abandonne­rait les populations à leur sort. Il y a d’ailleurs une véritable duplicité dans certaines analy­ses, assurant que la junte apporte un souffle démocrati­que. Quel paradoxe, s’agissant d’un coup d’État !

Comment un repli pourrait s’organiser ?

Il est possible qu’un redéploie­ment au Niger soit en train d’être négocié. Son ministre des Affaires étrangères séjournait la semaine dernière à Paris. Il a des mots très durs contre la junte malienne, la comparant aux« chemises brunes » menant une « choré­graphie des années 1930 » et assurant qu’il faut l’asphyxier !

La relation avec Bamako n’est plus rattrapable ?

La junte a commis une erreur tactique, pouvant servir la France, en renvoyant les Danois. Car je pense qu’Emmanuel Macron a envie de partir depuis quelque temps déjà, de redimensionner le dispositif vers le Niger et peut-être le Tchad. Jusqu’ici, une telle décision aurait posé d’autant plus de problèmes que Paris est responsable des opérations anti-djihadistes dans lesquelles elle a entrainé ses partenaires européens. Ceux-ci reprochent déjà un manque de transparence des Français. Après le renvoi du contingent danois par Bamako, les Euro­péens ont dit qu’ils ne resteraient pas au Mali à n’importe quel prix. Donc, cette fois, une décision de retrait pourrait apparaitre comme collégiale et européenne.

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Propos recueilli par Henri Vernet pour Le Parisien.
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