ANALYSES

Élections en Argentine : un nouveau cycle libéral-conservateur en Amérique latine ?

Tribune
16 novembre 2021


La législative de mi-mandat, qui s’est déroulée le dimanche 14 novembre en Argentine, a incontestablement été gagnée par la coalition de droite « Ensemble pour le changement » (Juntos por el Cambio). Pour autant, ce résultat annonce-t-il ou confirme-t-il l’émergence d’un cycle libéral et conservateur en Amérique latine ?

Le succès de l’union des droites est indiscutable. « Ensemble pour le changement » a gagné avec une avance nette, 41,9% des suffrages exprimés, contre 33,5% pour le « Front de tous » (Frente de todos), nom du conglomérat soutenant l’exécutif péroniste, Alberto Fernández et Cristina Kirchner. Les forces de la majorité gouvernementale ont perdu dans les cinq provinces les plus peuplées du pays, Buenos Aires, Cordoba, Mendoza, Santa Fé et San Luis. Les terres historiques du péronisme et du kirchnérisme, La Pampa et Santa Cruz, sont tombées dans l’escarcelle de l’opposition. Les droites unies ont obtenu 47% des voix dans la capitale et un candidat d’extrême droite a obtenu un surprenant 17%.

Ces législatives d’étape ne sont pas des élections générales. Seuls la moitié du Congrès des députés et le tiers du Sénat étaient soumis à renouvellement. Cela n’a pas empêché les forces de droite de faire basculer la Chambre haute. C’est l’émergence d’une extrême droite, ayant fait son entrée au Congrès avec quatre députés, qui a permis au Frente de todos de préserver sa place de première minorité[1]. Cette droite victorieuse est néanmoins loin d’être unie : la victoire a même généré des envies de présidentielles chez plusieurs de ses têtes médiatiques, Patricia Bullrich, cheffe du parti PRO, ou Horacio Rodriguez Larreta, maire de la capitale. Mais être concurrents dans un courant porteur adoucit les aspérités. L’année 2023, durant laquelle se tiendra la prochaine présidentielle, s’annonce dans un tel contexte sous un jour favorable aux forces libérales et conservatrices.

Peut-on affirmer pour autant que les élections argentines du 14 novembre 2021 confirment un nouveau cycle, droitier, en Amérique latine ?

Oui si l’on ajoute à ce résultat celui, toujours en Argentine des « Primaires Ouvertes Simultanées et Obligatoires », PASO dans le jargon électoral argentin, du 12 septembre 2021. Oui si l’on y ajoute la victoire du candidat de droite, Guillermo Lasso, en Équateur le 11 avril 2021 (Alliance CREO-PSC). Oui encore si l’on tient compte des dernières élections au Pérou le 11 avril 2021. La présidence a certes été gagnée par un homme de gauche, Pedro Castillo (Pérou Libre), mais les électeurs ont envoyé au Parlement des députés de droite. Oui si l’on y inclut le résultat des présidentielles des années 2018/2020. Au Paraguay, le 23 avril 2018, elles ont été gagnées par Abdo Benítez (Parti libéral). Au Guatemala, Alejandro Giammattei a été élu le 11 août 2019 (liste « Allons vers un Guatemala différent – VAMOS »), et au Salvador par Nayib Bukele (Grande Alliance pour l’unité nationale – GANA). Enfin, en Uruguay, le 27 octobre 2019, Luis Alberto Lacalle Pou (parti national) avait accédé à la magistrature suprême.

Non si l’on regarde vers la Bolivie, où Luis Arce (Mouvement Socialiste) est devenu le 18 octobre 2020 chef de l’État. Le Mexique a élu un nationaliste et progressiste, Andrés Manuel López Obrador, le 1er juillet 2018. Non encore si l’on en croit les sondages qui annoncent au Brésil (le 2 octobre 2022), au Chili (le 21 novembre 2021), en Colombie, (le 29 mai 2022), au Honduras (le 28 novembre 2021) la victoire de candidats aux idées avancées : Luiz Inácio Lula da Silva (PT) au Brésil, Gabriel Boric (J’approuve la Dignité) au Chili, Gustavo Petro (Colombie Humaine) en Colombie, et Xiomara Castro (parti Liberté et Refondation Libre) au Honduras. Non encore si l’on met dans la besace progressiste Cuba qui a confirmé un président communiste Miguel Díaz-Canel en 2018, le Nicaragua qui a reconduit le président sortant Daniel Ortega le 7 novembre 2021, et le Venezuela qui a sanctionné la victoire de Nicolas Maduro le 20 mai 2018 (Parti Socialiste Unifié du Venezuela-PSUV).

Peut-on, au vu de ces résultats qui chevauchent « en même temps » listes de gauche et de droite tout aussi victorieuses, identifier des cycles électoraux, tantôt de droite, tantôt de gauche ? L’incertitude est d’autant plus grande que certaines victoires ont été acquises sans gloire, faute d’opposition en bonne et due forme, à Cuba, au Nicaragua et au Venezuela. Mais également que les sondages ne permettent pas de lire avec certitude le marc de certaines élections, au Chili comme au Honduras.

Un curseur paraît plus pertinent et offre une lisibilité meilleure pour tenter, faute de cycle, de trouver une clef de lecture plus satisfaisante. On pouvait la trouver dans La Razón, quotidien argentin, daté du 15 novembre. Ce journal a fait le commentaire suivant, pour expliquer à ses lecteurs les causes de « l’amère défaite du péronisme » aux législatives partielles du 14 novembre : « la pauvreté et l’inflation galopante ont miné la coalition officialiste ». Et en effet, la plupart des alternances à la loyale constatées ces dernières années en Amérique latine ont bel et bien une origine économique et sociale. Les électeurs se sont définis, ici en Argentine, et là au Mexique, en fonction de leur quotidien, bien davantage que par idéologie. L’inflation en Argentine dépasse les 41%, le chômage absolu 10% et la pauvreté touche plus de 40% de la population. Ces chiffres avaient déjà fait tomber Mauricio Macri (droite) aux précédentes présidentielles argentines, en 2019.

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[1] 118 députés Front de tous / 116 Ensemble pour le changement
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