ANALYSES

Biden, an 1 : quel bilan ?

Interview
10 novembre 2021
Le point de vue de Jeff Hawkins


Le président Joe Biden a été élu le 3 novembre 2020. Se présentant en rupture avec la politique de Donald Trump sur tous les plans, le président américain souhaitait se lancer dans une politique active et modernisatrice. Un an après son élection à la tête du pays, quelles premières analyses peut-on faire de la présidence Biden ? Le point avec Jeff Hawkins, chercheur associé à l’IRIS, ancien ambassadeur des États-Unis.

 

Revers des démocrates aux élections en Virginie, cote de popularité en berne et divisions au sein de son propre parti : un an après son élection à la tête des États-Unis, comment le président Biden est-il perçu dans son pays ?

Pendant la campagne électorale de 2020, Joe Biden se positionnait comme un candidat fédérateur, centriste et raisonnable après quatre années de chaos trumpien. Biden promettait de dompter le Covid-19, relancer l’économie, et renouer avec la civilité. Ce positionnement a réussi. Aux élections, le président a gagné avec 51% des voix, soit 306 grands électeurs contre 232 pour Trump. Si ce ne fut pas une victoire éclatante, elle reste tout à fait respectable. Sa cote de popularité a tourné autour des 55% d’avis favorables durant les six premiers mois de son mandat, puis elle s’est rapidement effondrée. Aujourd’hui, une importante majorité pense en effet que le pays va dans la mauvaise direction. Dans cette logique, le parti démocrate a perdu ou a peiné à gagner cette semaine certaines élections intermédiaires dans des États normalement acquis aux démocrates, notamment la Virginie. Les raisons de cette chute de popularité du président sont multiples.

D’abord parce que la droite américaine considère toujours le nouveau président comme illégitime. La base de Donald Trump, cette importante minorité de l’électorat encore farouchement attachée à l’ancien président, n’accepte toujours pas l’élection de Biden. Deux tiers des républicains croient que les élections de 2020 ont été frauduleuses, sans preuve. Quoi qu’il fasse, le président Biden n’aura jamais leur soutien.

Également parce que le parti démocrate est profondément divisé, surtout au Congrès, ce qui laisse une forte impression d’inefficacité et de confusion. Les centristes, et surtout deux sénateurs démocrates plutôt conservateurs, s’opposent à une partie de l’agenda de président, estimée trop coûteuse ou pas dans l’intérêt de leur État. Les progressistes, en revanche, refusent de voter pour des projets de loi qui ne comprennent pas des éléments essentiels de leur programme, en particulier la lutte contre le changement climatique et les inégalités. Même si le Congrès a enfin voté un important budget pour les infrastructures, avec d’ailleurs le soutien de quelques républicains, le président peine à avancer.

Volonté de moderniser son pays, vaccination massive, plan de relance économique, etc. : comment analysez-vous la politique intérieure menée par Joe Biden ?

Suite à son investiture, la priorité du nouveau président était de lutter contre la pandémie de
Covid-19 et ses conséquences sur l’économie. Biden a obtenu des succès non négligeables : la majorité des Américains est maintenant vaccinée, le variant Delta a reculé, et la reprise économique est au rendez-vous. Ces résultats ont été acquis malgré les oppositions du parti républicain de mettre en œuvre les mesures sanitaires nécessaires pour en finir avec la pandémie de Covid-19. Mais au-delà de la lutte contre le Covid-19, Biden a également proposé un projet social très ambitieux : le plan Build Back Better. Ce projet compte plusieurs volets : investissements dans l’éducation et le logement principalement pour les plus pauvres, d’importantes mesures pour promouvoir une économie verte, et un renforcement substantiel du système sanitaire. Biden a d’ailleurs promis de couvrir les coûts de son programme – estimé à environ 1000 milliards de dollars – par de nouvelles taxes sur les plus grosses fortunes, notamment sur des milliardaires tels qu’Elon Musk ou Jeff Bezos. Dans le même temps, Joe Biden souhaite réparer et moderniser les infrastructures américaines, de plus en plus vétustes. Ainsi, il vient de faire adopter à la Chambre du Congrès un projet de loi bipartite sur les infrastructures qui constitue un des volets du plan Build Back Better. Désormais, les ambitions de Biden ont besoin de trouver des alliés pour faire passer le reste de son plan et surmonter les obstacles qui ne sont pas des moindres. De fait, les progressistes sont mécontents de la lenteur des réformes et des contraintes imposées par les centristes, alors que ces derniers sont consternés face à l’ampleur du programme et son coût.

Quel bilan dressez-vous de la politique extérieure de Joe Biden, annoncée en rupture avec celle de son prédécesseur Donald Trump, mais sous le feu des critiques et polémiques ?

Il est certain que Joe Biden a rompu avec l’ère Donald Trump : plus de tweets grossiers, plus de revirements soudains dans la politique étrangère, plus d’insultes inattendues à l’égard de ses alliés ni de rapprochements soudains avec des gouvernements autoritaires. Le temps des « lettres d’amour » à Kim Jong-un et des menaces au « Little Rocket Man » est révolu. Au contraire, on constate que Biden s’est entouré d’une équipe expérimentée et intelligente : il se comporte sur la scène internationale comme un président américain « normal ». En politique étrangère, il cherche le plus souvent à renouer avec la politique d’Obama, que ce soit par la réouverture des négociations avec les Iraniens sur le nucléaire, comme avec le retour des États-Unis au sein des Accords de Paris sur le climat. Mais il y a parfois d’étonnantes continuités avec la politique de Trump. L’Afghanistan en est l’exemple typique. En effet, il ne faut pas oublier que c’est Donald Trump qui a négocié le retrait des troupes américaines de cette « forever war« . Biden a maintenu le cap, contre l’avis de ses généraux et de ses alliés à l’OTAN. Malheureusement pour lui, le retrait s’est fait dans le désordre, et les images de CNN d’Afghans cherchant désespérément à fuir les talibans par l’aéroport de Kaboul ont choqué et certainement nui politiquement à Biden. Ce dernier conserve par ailleurs une ligne similaire à celle de Trump à l’égard de la Chine, maintenant entre autres les taxes sur les importations chinoises. Enfin, si à l’inverse de Trump le président Biden insiste sur l’importance et la pérennité des alliances, cela ne l’a pas empêché de trahir le plus ancien allié des États-Unis, la France, dans l’affaire des sous-marins australiens.
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