ANALYSES

ONU : la désertion de Macron

Correspondances new-yorkaises
5 octobre 2021


Le chef de l’État avait décidé de longue date de ne pas participer à l’Assemblée générale de l’ONU, qui s’est tenue il y a deux semaines à New York. Il entendait compter ses déplacements à l’étranger, tout en préparant la présidence française de l’Union européenne, au premier semestre 2022.

Étrange décision de la part de quelqu’un qui aime à se présenter comme le chantre du multilatéralisme.

Bouder le moment le plus attendu dans l’agenda diplomatique mondial, où presque tous les dirigeants de la planète se ruent pour s’exprimer à la tribune de l’Assemblée générale, en a surpris plus d’un. La dernière fois qu’un chef d’État français ne s’est pas déplacé pour l’ouverture de l’Assemblée générale de l’ONU, c’était en 2006, après que Jacques Chirac, victime d’une attaque cérébrale, ait décidé de se faire représenter par Dominique de Villepin, alors Premier ministre.

Mais l’étonnement général s’est encore accru quant au plus fort de l’affaire des sous-marins, Emmanuel Macron a dit qu’il ne changerait pas d’avis et qu’il ne mettrait pas un pied à New York cette année.

Étonnement en effet bien compréhensible, car ce rendez-vous onusien lui aurait permis de défendre le multilatéralisme « à la française » et de faire entendre sa différence sur les questions du moment, comme les tensions sino-américaines, l’Iran, le climat ou la lutte contre le terrorisme. Sans parler bien évidemment de l’opportunité de dénoncer à la face du monde le nouvel unilatéralisme américain sauce Biden, nouvel unilatéralisme qui s’est récemment illustré avec le retrait précipité d’Afghanistan et justement l’histoire des sous-marins.

Le désintérêt de Macron pour la grande messe du multilatéralisme est malheureusement le reflet une certaine réalité.

Le poids politique de l’ONU est aujourd’hui quasiment nul. Son secrétaire général n’exerce plus aucune influence sur la scène internationale. Depuis près de 15 ans, aucun des patrons de l’ONU n’a pu ou voulu s’impliquer personnellement dans l’une des grandes crises mondiales. Le premier mandat d’António Guterres – qui vient pourtant contre toute logique d’être reconduit pour cinq ans – a été presque unanimement considéré comme un échec. On ne l’a pratiquement pas entendu lorsque Trump a quitté la COP 21, l’accord sur le nucléaire iranien, l’OMS, etc. Les chefs d’États et de gouvernements actuels sont, comme Emmanuel Macron, issus d’une génération qui n’a pas connu la Seconde Guerre mondiale ni même la guerre froide. Ils ne voient plus l’intérêt de ce genre d’organisation et préfèrent s’exprimer de façon bilatérale ou dans des réunions comme le G20 ou le G7, ou autour d’ensembles régionaux qui regroupent des États avec des intérêts communs ou similaires.

Quoi qu’il en soit et malgré tout cela, l’absence de Macron à l’ouverture de la 76ème session de l’Assemblée générale des Nations unies alors que le multilatéralisme et la démocratie connaissent une crise sans précédent ne peut se justifier. L’absence du président français va créer un précédent et l’ONU, qui est déjà devenue depuis un bon moment une coquille vide, risque de voir de plus en plus de dirigeants se détourner de ses forums internationaux.

Tout ceci est assez tragique, car malgré ses faiblesses et toutes les critiques que l’on peut lui faire, l’ONU reste la dernière soupape du monde : une organisation où les différents pays peuvent encore tenter de dialoguer et de s’entendre. La seule plateforme où certains échanges peuvent être organisés, et où un semblant de Parlement du monde existe grâce, justement, à l’Assemblée générale.

Toute cette histoire pourrait donner raison aux détracteurs d’Emmanuel Macron qui accusent notre Jupiter national de prendre ses décisions au gré de ses caprices ou de l’humeur du temps et de n’observer aucune ligne claire que cela soit pour la politique intérieure de la France ou pour la politique extérieure de celle-ci.

Par ailleurs, et comme déjà mentionné dans ces colonnes, il est assez ironique de penser que c’est sous l’impulsion de l’Empire du Milieu, très actif, lui, dans les instances onusiennes où il n’en finit pas de tisser sa toile profitant de « l’abandon » de celles-ci par les Occidentaux, qu’un nouveau système multilatéral pourrait éventuellement voir le jour. Un système cette fois-ci non plus inspiré par des visionnaires comme Roosevelt ou Churchill, mais par le Bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois.

Et dire qu’il y en a qui cherchent des noises à l’IRIS pour quelques malheureuses conférences organisées avec l’ambassade de Chine !

 

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son dernier essai, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » est paru en Ebook chez Max Milo en 2020.
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