ANALYSES

L’Administration Biden fixe ses priorités en matière de politique étrangère

Tribune
5 mars 2021


Le 3 mars, la Maison-Blanche de Joe Biden a publié ses « Orientations stratégiques provisoires en matière de sécurité nationale », une première esquisse des priorités diplomatiques et sécuritaires de la nouvelle administration américaine. Le même jour, le Secrétaire d’État, Anthony Blinken, a prononcé un important discours expliquant et amplifiant bon nombre des thèmes abordés dans la stratégie présidentielle. Ces deux interventions esquissant la feuille de route initiale de la politique étrangère de Biden.

Pour ceux qui ont suivi les positions de M. Biden pendant la campagne présidentielle de 2020 et pendant les premières semaines de sa présidence, bon nombre des priorités exposées seront familières. L’administration Biden s’engage à « revigorer et moderniser » les alliances des États-Unis, non seulement avec l’OTAN, mais aussi avec des partenaires des Amériques, de l’Indo-Pacifique et de l’Afrique. Elle veut reprendre le leadership américain dans les institutions internationales, en particulier sur des problèmes mondiaux comme ceux du Covid-19 et du changement climatique. Elle met l’accent sur des « choix intelligents » pour les dépenses militaires et le recours à la force, la diplomatie étant l’option privilégiée. L’administration poursuivra des relations commerciales qui « servent tout le peuple américain et pas seulement quelques-uns », en mettant l’accent sur les protections des travailleurs, de l’environnement et de l’égalité des chances. Elle donne la priorité à la croissance économique nationale en tant que moteur de la puissance américaine à l’étranger. Enfin, l’administration Biden entend montrer la voie à une « revitalisation » de la démocratie, tant sur la scène nationale qu’à l’étranger.

Les directives Biden sont uniques à plusieurs égards. Premièrement, il est inhabituel que ce genre de document existe, du moins si tôt après l’investiture du président. Depuis plusieurs décennies, des administrations successives ont certes élaboré des stratégies de sécurité nationale fixant les priorités en matière de politique étrangère. Or, ces documents sont souvent le résultat d’une discussion approfondie au sein du gouvernement américain et prennent du temps. La stratégie du président Trump a été publiée près d’un an après son investiture, la première stratégie du président Obama un an et demi après. Le président Biden a clairement estimé qu’il était nécessaire de faire avancer ce calendrier, pour marquer une rupture claire avec l’ère Trump. Bien que les lignes directrices soient « préliminaires », elles marquent un changement de cap important.

L’administration a fait un effort pour expliquer pourquoi la politique étrangère de Biden est pertinente pour l’Américain moyen. Dans son discours, le Secrétaire Blinken a cherché à répondre à trois questions fondamentales de ses concitoyens : « Que signifiera notre politique étrangère pour les travailleurs américains et leurs familles ? Que devons-nous faire dans le monde entier pour nous rendre plus forts ici à la maison ? Et que devons-nous faire à la maison pour nous rendre plus forts dans le monde ? » Bien que la plupart des Américains soient peu susceptibles de passer du temps à regarder un discours du secrétaire d’État, l’administration espère que les explications simples de Blinken résonneront avec les médias et, en fin de compte, avec le grand public. Après des années de dénigrement de l’« état profond » de la part de Donald Trump, Biden et son équipe cherchent à aider les Américains à comprendre pourquoi la diplomatie est importante.

La Chine est clairement le défi stratégique le plus important pour l’administration Biden. Alors que d’autres États – la Russie, la Corée du Nord, l’Iran – représentent de réelles préoccupations, la Chine est la cible claire de la stratégie de Biden. Non pas que la Chine soit nécessairement l’ennemi. La stratégie fait référence à une « concurrence stratégique » avec la Chine qui comprend à la fois la lutte contre les mouvements agressifs chinois et la coopération lorsque cela est possible. M. Biden insiste sur la nécessité de travailler avec des partenaires dans la gestion du dossier chinois, très différent d’un Donald Trump qui mettait l’emphase sur ses relations personnelles avec le président chinois Xi.

La stratégie indique clairement que l’administration Biden est susceptible d’éviter l’intervention militaire, au moins quand elle le peut. L’ère des « guerres pour toujours », dit-elle, est révolue. Cela est particulièrement vrai pour l’Afghanistan, la stratégie soulignant que M. Biden cherchera à mettre fin, de manière responsable, à l’implication militaire américaine dans le conflit afghan.

L’administration Biden s’inquiète de la retraite de la démocratie, non seulement à l’étranger, mais aussi sur le territoire national. Blinken note qu’« il ne fait aucun doute que notre démocratie est fragile ». C’est un nouveau thème, très frappant, dans le discours de politique étrangère américain. Tout au long du « siècle américain » et au-delà, les décideurs politiques américains ont constamment dépeint les États-Unis comme une « city on a hill », un brillant exemple démocratique pour le reste du monde. L’administration Biden reconnaît que les divisions partisanes qui ont profondément divisé l’Amérique au cours des dernières années ont affaibli la puissance de cet exemple. La politique de Biden cherchera à renforcer la démocratie aux États-Unis et à l’étranger, en travaillant avec ses alliés contre un autoritarisme croissant.

Les orientations stratégiques de ce type ne s’appliquent pas toujours aux crises nouvelles et imprévues, mais les approches initiales sont claires. Reste à savoir si ce document résistera aux réalités diplomatiques et stratégiques.

 
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