ANALYSES

Brésil 2021. Éclipse d’une étoile émergente

Tribune
22 janvier 2021


Fermeture définitive des usines automobiles Ford de l’État de Bahia, désastre sanitaire en Amazonie. Le Brésil en 2021 s’est levé du pied gauche. Hier, en 2016, le Brésil figurait encore sur le tableau d’honneur des pays émergents. 2016, 2017, 2018, 2019, 2020, d’année en année le Brésil a retrouvé marche après marche le cercle des périphéries, confirmant le commentaire attribué parfois à Georges Clémenceau, et souvent au général de Gaulle, d’être un pays d’avenir et appelé à le rester.

La situation est sanitairement préoccupante pour le pays, comme pour la majorité des Brésiliens. La pandémie atteint des sommets dépassés par les seuls États-Unis. 210 000 morts à la mi-janvier 2021. Un chaos désolant tout autant que dramatique à Manaus, capitale de l’État d’Amazonie, pourtant présentée il y a peu comme une ville collectivement immunisée. En dépit de leur curriculum militaire, le président, et capitaine, Jair Bolsonaro, et son ministre de la Santé, le général Eduardo Pazuello, ont depuis longtemps renoncé à se battre contre le virus. Laissant les États de la Fédération, les municipalités, mener la bataille, sans coordination et dans un grand désordre institutionnel. À tel point que le variant brésilien du coronavirus, passé inaperçu dans le désordre sanitaire brésilien, a été identifié… au Japon. Fin janvier, un certain nombre d’États avaient engagé des campagnes de vaccination, ici avec un produit chinois, là russe et ailleurs anglais.

Économiquement, le laisser faire des autorités centrales loin de sauver l’activité, l’a au contraire laissé dépérir, bousculée qu’elle est par les effets destructeurs du coronavirus. L’État est « en faillite et je ne peux rien faire » a reconnu publiquement et sans détour le 5 janvier 2021 Jair Bolsonaro. Le message a été reçu cinq sur cinq par les investisseurs étrangers. Ford a repris ses billes, et annoncé la fermeture de ses usines brésiliennes. 2% du PIB de l’État de Bahia est affecté par la décision de l’entreprise nord-américaine. 5000 emplois directs sont perdus. Plusieurs milliers d’autres, de sous-traitants, commerces, sont par ricochet touchés et vont être perdus. Et Ford n’est pas la seule à tirer un trait sur sa présence au Brésil. Le laboratoire pharmaceutique suisse Roche doit lui aussi se retirer du Brésil en 2024. Tout comme l’Allemande Mercedes-Benz et le Japonais Sony.

Socialement, le marasme économique plonge dans l’incertitude du lendemain une part toujours plus large de la population. La pauvreté a été un temps contenue par les mesures d’urgence votées par le parlement. Mais cette manne a été réduite de moitié en octobre 2020. Et pourrait être très vite en cessation de paiement, si l’on en croit le président. Décision qui jointe aux effets destructeurs du coronavirus sur l’emploi, en particulier sur le travail salarié, menace d’effacer les « nouvelles » classes moyennes sorties de la faim et de la pauvreté dans les premières années du millénaire.

Seuls tirent leur épingle du jeu les grands producteurs de soja, de viandes, au prix de la dégradation accélérée de la nature brésilienne. Le laisser-faire accordé à l’agrobusiness détruit les équilibres écologiques. La réduction de la couverture forestière perturbe le régime des pluies et, à terme, menace les intérêts de ces mêmes gros agriculteurs. Ce suicide programmé est accepté, voire encouragé par le gouvernement. Le ministre de l’Environnement, Ricardo Salles, est issu de ces milieux. Jair Bolsonaro a refusé d’organiser la Cop-25 au Brésil. Il rejette de lier le traité commercial en négociation entre Union européenne et Mercosur/Mercosul avec les engagements environnementaux pris par le Brésil signataire de l’Accord de Paris. Les échanges aigres-doux sont récurrents entre autorités brésiliennes et françaises à ce sujet. Le 12 janvier 2021, le chef de l’État français, Emmanuel Macron, avait écrit sur son compte Twitter que l’Europe ne pouvait plus être dépendante d’un soja produit en contradiction avec les ambitions écologiques de l’Europe. Le lendemain, le vice-président brésilien, Hamilton Mourão, répondait en qualifiant le propos d’Emmanuel Macron, de déclaration « reflétant les intérêts protectionnistes des agriculteurs français ».

L’insécurité, déjà problématique, a pris avec la pandémie une dimension de moins en moins contrôlée. L’absence de bonne gestion sanitaire a fabriqué un marché parallèle de biens de santé. Le prix des bonbonnes d’oxygène objet d’une demande pressante se négociait à 550 dollars l’unité mi-janvier à Manaus. La police n’a jamais autant commis de bavures qu’en 2020. Dix-sept personnes sont abattues chaque jour par les « forces de l’ordre ». 3148 Brésiliens sont morts tués par des agents de police entre janvier et juin 2020. Ici encore au bénéfice particulier d’un seul acteur, le fabricant d’armes à feu, Taurus[1].

Le Brésil, hier bien dans ses bottes, avait un cap national comme international. Il est aujourd’hui sans boussole. Jair Bolsonaro, a condamné le communisme de Joe Biden, celui de Nicolas Maduro, pris ses distances avec l’Argentin Alberto Fernandez, et annoncé la suspension de relations préférentielles avec la Chine rouge. Joe Biden est depuis le 20 janvier 2021 président des États-Unis. La Chine est le premier partenaire commercial du Brésil et son premier fournisseur de vaccins anti-Covid, Nicolas Maduro a envoyé à Manaus une cargaison de bouteilles d’oxygène …

[1] Voir « Los vendedores de armas hacen caja con Bolsonaro », in El Pais, 28 octobre 2020 et « la course à l’armement de la société brésilienne » in Le Monde, 6 janvier 2021
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