ANALYSES

Iran/États-Unis : vers un apaisement des tensions avec Joe Biden au pouvoir ?

Interview
20 janvier 2021
Le point de vue de Thierry Coville


En 2018, Donald Trump se retirait de l’accord sur le nucléaire iranien, accord historique dans les relations américano-iraniennes, aggravant les relations entre les deux États. Ce à quoi se sont ajoutées des sanctions économiques étasuniennes sur un pays qui, aujourd’hui, est pleinement touché par la pandémie. L’arrivée de Joe Biden à la maison pourrait changer la donne, alors que les manœuvres iraniennes inquiètent.  

La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont demandé samedi à l’Iran de renoncer à sa production d’uranium métal. Faut-il s’inquiéter des manœuvres iraniennes sur les questions nucléaires ? L’accord sur le nucléaire iranien peut-il être sauvé avec la prise de fonction de Joe Biden ?

Il convient de s’inquiéter à partir du moment où l’Iran commence à enrichir à 20% d’uranium. On se retrouve dans une situation identique à celle connue sous Mahmoud Ahmadinejad. Les spécialistes disent qu’en termes d’enrichissement d’uranium le passage d’un enrichissement de 20 à 90%, qui est le niveau militaire, est plus facile que le passage de 3 à 20%. Or, la production d’uranium métal ne peut avoir que des finalités militaires. Par ces actions, l’Iran s’engage très clairement dans un programme militaire nucléaire qui sort des limites de l’accord sur le nucléaire de 2015.

Mais cet accord peut encore être sauvé. Les actions de l’Iran ont pour objectif de faire pression sur les États-Unis et son nouveau gouvernement, pour les faire revenir dans l’accord et annuler les sanctions prises par Donald Trump en 2018. Dès lors, l’Iran reviendrait à la situation initiale, avant le départ américain. Il s’agit de la condition indispensable pour que l’accord soit sauvé.

Quelques jours avant le changement d’administration à Washington, les forces armées iraniennes ont organisé deux jours d’exercices militaires. Comment interpréter cela ? Y a-t-il une nouvelle résurgence des tensions alors que les États-Unis devront composer avec l’influence iranienne notamment en Irak et en Syrie où sont positionnées des troupes américaines ?

Il est toujours difficile d’interpréter ce type d’évènement. La stratégie de l’Iran vise très clairement à préparer à la négociation avec les États-Unis. Pour les Iraniens, préparer cette négociation signifie montrer leur puissance avec les outils à leur disposition : développement de leur programme nucléaire et manœuvres militaires. Ils veulent aussi démontrer leur capacité à intervenir dans la région et potentiellement à la déstabiliser.

Les tensions entre l’Iran et les États-Unis sont bien réelles. Mais parler de leur résurgence serait aller trop vite en besogne. Plusieurs scénarios se profilent. Le scénario positif serait que les États-Unis reviennent dans l’accord et annulent les sanctions prises par Donald Trump. Le second, un peu moins positif, serait dans le cas où les États-Unis ne feraient rien de cela. Il y a en effet des voix aux États-Unis, mais aussi en Europe, qui penchent pour la négociation d’un accord plus large incluant une renégociation de l’accord sur le nucléaire, le programme balistique iranien et la politique régionale de l’Iran. Dans ce cas, l’Iran risque de montrer les dents pour exprimer son mécontentement, comme ils l’ont fait en 2019 avec des opérations de déstabilisation dans le Golfe persique, ou encore les attaques des installations pétrolières saoudiennes. C’est donc effectivement dans ce cas de figure qu’on pourrait avoir une montée des tensions.

Où en sont la situation sanitaire du Covid-19 et son impact économique et social en Iran, alors que l’ayatollah Khamenei a décidé de priver les Iraniens de vaccins britanniques et américains ?

L’Iran est le pays, après l’Inde, le plus touché par le Covid-19 dans la région Asie-/Moyen-Orient. La situation est grave dans le pays, même si les derniers chiffres montrent une diminution de la contagion. L’impact économique est sévère, mais l’Iran est déjà dans une situation économique très difficile en raison d’une économie en récession à cause des sanctions américaines. L’Iran a en effet connu une récession de respectivement 5,4 et 6,5 % en 2018 et 2019, selon le FMI, du fait de l’impact des sanctions américaines. Le poids de ces dernières et l’impact du Covid-19 ont entrainé une troisième année consécutive de récession de 5 % en 2020. Et le pays n’a pas les moyens, comme la France ou les États-Unis, de relancer son économie pour compenser l’impact de la crise sanitaire.

Les vaccins représentent très clairement une question idéologique. Le groupe des radicaux, dont fait partie Khamenei, a une profonde méfiance envers les Occidentaux et considère qu’on ne peut pas faire confiance ni à eux ni à leurs vaccins. Ce discours a une finalité interne. Dans le même temps, certains journaux modérés ont publié des articles sur l’efficacité du vaccin mis au point par l’université d’Oxford. Ainsi, le clivage politique de la société iranienne s’illustre une nouvelle fois autour de la question des vaccins, entre ceux qui exercent une méfiance absolue vis-à-vis des Occidentaux, et ceux, modérés, qui sont prêts à jouer le rôle de l’insertion dans la communauté internationale.
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